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Fresque, femmes regardant à gauche

Articles

"Fresque, femmes regardant à gauche" de Paco Dècina
Raphaël de Gubernatis, nouvelobs.com, mercredi 11 février 2009

Comment un spectacle qui pourrait n'être que beau plastiquement atteint-il une plénitude qui lui confère subitement une toute autre dimension qu'esthétique ? Mystère ? Pas tout à fait. En contemplant "Fresque, femmes regardant à gauche", chorégraphie de Paco Dècina, on sent confusément que si la pièce dégage autant de poésie et de sens, c'est qu'elle est le fruit d'une très longue maturation, d'une réflexion cent fois abordée.

En s'inspirant de peintures de la Rome antique, de celles découvertes jadis à Pompéi ou Herculanum, et désormais exposées au Musée de Naples, l'Italien Paco Dècina nous fait entrer dans un monde éminemment mystérieux et mélancolique, celui du temps qui fuit et nous échappe, celui d'une éternité qui nous dépasse. En suivant sa belle chorégraphie, en regardant une scénographie et des images projetées aussi élégantes que sobres ( Serge Meyer et Frédérique Chauveaux), en jouissant de lumières remarquables (Laurent Schneegans), en entendant un accompagnement sonore dont la nature discrète mais prégnante aide au mystère (Frédéric Malle), en savourant enfin la façon magnifique dont le chorégraphe appréhende l'espace, on pénètre dans un monde de sensations diffuses qui toutes servent à merveille le propos.

Souvenez-vous de ces visages de personnages figés depuis près de deux mille ans sur ces fresques antiques et paraissant tout à la fois Étonnamment proches et désespérément lointains, de ces regards encore pleins de vie et qui sont ceux d'êtres morts depuis deux millénaires, de ces bouffées du passé revenu à la surface dont la survivance nous trouble ; souvenez-vous de ces images saisissantes de Fellini dans "Roma", quand des figures humaines plongées dans le silence et dans l'obscurité depuis des siècles et brusquement exhumées par la brutalité des bulldozers, s'évanouissent aussitôt sous l'effet de l'air frais qui les efface…Tout cela, on en retrouve la trace dans "Fresque, femmes regardant à gauche", qui en dépit de son titre voulu sec comme un cartel de musée, est une pièce d'une intense poésie. Quand le chorégraphe avoue que cette idée du temps qui fuit, du passé disparu l'obsède depuis vingt ans, on comprend alors parfaitement qu'une aussi longue maturation ait pu donner jour à un ouvrage aussi sensible.

Raphaël de Gubernatis
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"Paco Dècina, ou la sensation d'un massage oculaire"
Rosita Boisseau, Le Monde, jeudi 5 février 2009

Quelle respiration ! Quel soulagement de se glisser dans les gestes doux, tranquilles, du spectacle Fresque, femmes regardant à gauche, signé par le chorégraphe Paco Dècina. A l'affiche depuis le 19 janvier au Théâtre de la Cité internationale, à Paris, cette pièce pour sept interprètes se dépose lentement sur le plateau avec la régularité du sable dans le sablier. La sensation d'un massage oculaire et physique, très rare dans le contexte actuel, détonne franchement et fait du bien.

Le regard pourtant n'arrête pas de voltiger. Avec ses danseurs distribués depuis le fond du plateau jusqu'aux pieds du public, la scène ressemble à un feuilleté dont on explore l'épaisseur en surfant entre les corps. Chaque mouvement d'un danseur se fait l'écho différé du geste d'un autre, déployant un prisme sans cesse mouvant. Les lignes des bras se superposent avec celles des jambes dans des accords visuels surprenants.

UN QUATUOR TORSE NU

La tendance picturale et sculpturale du travail de Paco Dècina prend ici un ton plus fort qu'à l'habitude. Les textures se multiplient. Plus de chair, de muscles miroitants dans les lumières argentées conçues par Laurent Schneegans. Plus de formes, aussi Épurées soient-elles, qui gonflent et dégonflent dans la pénombre. Les danseurs s'agglutinent parfois pour composer des statues le temps d'un souffle profond.

Sans doute le casting - quatre jeunes danseurs au physique puissant et trois femmes plus petites - a donné des envies à Paco Dècina. Il n'a pas voulu résister par exemple à un quatuor masculin torse nu, en slip beige et genouillères noires, qui joue la carte du cliché érotique viril et musclé. Les princes charmants d'hier se sont dévêtus pour laisser la place à des lutteurs.

La question de la beauté, qui a déserté la plupart des spectacles, surgit ici sans relâche. L'harmonie, la justesse de chacun par rapport à lui-même et au groupe, l'invention gestuelle toujours finement renouvelée de Paco Dècina depuis plus de vingt ans de travail, concourent à cette sensation. Jusqu'aux effets vidéo interactifs à la mode dont il tire des images en noir et blanc intemporelles.

Fresque, femmes regardant à gauche est inspirée par une image du site antique d'Herculanum, près de Naples. Sans être visible sur scène, cette fresques a permis au chorégraphe d'origine napolitaine de renouer avec son passé. Ce coup de jeunesse symbolique, comme le sang neuf de ses jeunes interprètes, lui a donné envie de changements. Contrastes marqués entre les tableaux, vitesses nouvelles, Énergie hip-hop, acrobaties dressées dans le sol... injectent une vivacité différente à ce rêve éveillé qui fait la touche Paco Dècina.

Rosita Boisseau
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"Corps subtilement éclairés" Pauline Phélix, Danse, lundi 26 janvier 2009

Les fresques se succèdent… en nous, se façonnent peu à peu, l'image de corps minutieusement travaillés. Les interprètes se transforment en peintures libérées dans le nouveau spectacle de Paco Dècina. Danseur et chorégraphe depuis 23 ans, l'artiste articule un travail autour de l'interrogation des corps, leur mouvement, leur place dans l'espace. Qu'exprimer grâce à cet outil ? Il nous offre, cela est certain, une parole qui se passe de mots, qui est assez ouverte pour que le spectateur participe à un voyage.

Sept danseurs pour établir une communication. Quatre hommes et trois femmes nous éclaireront ce soir, de l'apparition de ce que l'on nomme danse, sa réponse face au désir mêlé d'une énigme entre masculin et féminin. Nous voguerons aussi autour de la (ou des) solitude(s) en mouvement. Mais avant de saisir ce mouvement, c'est le silence qui existe. Les postures des danseurs statiques, nous laissent alors le temps de la contemplation. L'impression pour nous de scruter des sculptures, des tableaux qui s'échapperaient du cadre et nous offriraient leur langage. De l'immobilité, le moindre geste se développe. Une simple position offre la possibilité d'arpenter ce que les corps peuvent nous dire, chacun profondément marqué par la mémoire de l'homme.

Leur place, leur entourage permettra de partager les gestes naissants; s'organise alors un jeu de trajectoires : des groupes, duos ou solos se laissent tour à tour la parole. Alors que des corps sont transportés à un endroit, que la danse s'envole, un mouvement s'étire dans un autre groupe, pour enfin faire surgir à nos yeux dépassés des corps en apesanteur. Mais l'émerveillement n'enlève rien à la construction d'une chorégraphie qui fait en sorte de ne pas perdre notre œil. Le plateau ne sera pas balayé mais dessiné par les danseurs. Il est un espace travaillé pour parler avec les corps, et ne se contente pas d'être le sol d'une simple occupation.

La vidéo comme mémoire du danseur

Utilisée avec parcimonie, par touches, seulement comme une parole supplémentaire, les projections permettent de mettre en lumière les traces. Elle est une réponse aux tentatives des danseurs. En s'associant aux lumières, la vidéo permet alors d'introduire ou d'accomplir les danses. Mais ce sont les danseurs qui poussent un dernier mot, dans ces confessions imprégnées du silence. Plissez vos yeux et regardez leurs ombres qui animent le sol. Écoutez. Les danses se finissent, pourtant rien ne se referme. Ce spectacle possède la qualité d'aller vers le spectateur, humblement. Il le laisse libre d'emprunter un chemin pour le peindre à son tour… et reste en mémoire certaines images délicatement colorées de grâce.

Pauline Phélix
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"La peinture du mouvement" Léo Daguet, Le Souffleur.net, mercredi 21 janvier 2009

Avec Fresque, femmes regardant à gauche, Paco Dècina entraîne sept danseurs extraordinaires dans une vaste interrogation sur le corps, le mouvement, l'espace et l'art pictural.
Dans l'obscurité du plateau du Théâtre de la Cité internationale, on devine projetés sur le fond de scène trois corps, trois femmes, immobiles, posant, de ces personnages de fresques antiques, tout à la fois simples et chargés de mystère. C'est le point de départ d'une chorégraphie minutieuse où le mouvement est magnifié.

Mouvement en apesanteur

La maîtrise du corps des danseurs de la compagnie Paco Dècina est réellement impressionnante. Avec lenteur, ils dansent le mouvement, dans sa beauté archaïque, libérés par cette danse ils flottent, en apesanteur, narguant les lois des non-dansant, assis, là, dans la salle et qui ne croient plus leurs yeux.
Ces corps, doux, sensuels, légers, beaux, sur la musique minimaliste (respirations, murmures, vibrations) de Fred Malle nous parlent d'un amour du mouvement enfoui profondément en chacun de nous.

Peinture(s) du mouvement

C'est le dispositif vidéo accompagnant la danse qui donne tout son sens au titre de cette chorégraphie. Car Fresque, femmes regardant à gauche explore le monde pictural, et ses tentatives pour peindre le mouvement. Ces corps contorsionnés, dans la tension de la mobile immobilité des fresques antiques, les silhouettes tremblotantes des reflets impressionnistes, la vidéo montre comment l'art de la surface tente à sa manière d'atteindre le mouvement, que la danse, art de l'espace, présente devant nous.

Les dispositifs vidéo de Serge Meyer permettent à Paco Dècina d'atteindre cette utopie picturale en reprenant avec génie la technique du pinceau vivant chère à Yves Klein et ses Anthropométries. Une caméra rémanente reproduit en fond de scène la trace des gestes des danseurs. Voilà le mouvement scellé, là, sur cette toile, libéré du temps.

Paco Dècina est un peintre sans autre matière que le corps, peintre de l'immatériel, du mouvant, peintre du mouvement.

Léo Daguet
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