Il œuvre dans une sorte d'harmonie rituelle, sans rien céder au sensationnel. L'événement de sa danse, tient à cette conduite intérieure, à l'écart des modes, du flot de discours, d'images, de technologie qui assaillent le quotidien.
Chez Paco Dècina, aucune frénésie ni recherche de maîtrise, mais une qualité de temps, dont la lenteur à l'Écoulement presque palpable augure d'un cheminement subtil. L'écoute, le regard occupent une place particulière dans la démarche du chorégraphe napolitain. Aiguisés à partir du silence et du noir, ils lui ont ouvert une voie vers l'infini, sorte de quête énigmatique dont chaque pièce se fait l'empreinte. Comme absorbé par le secret du langage des corps, Paco Dècina a fait évoluer sa recherche et son expérimentation vers un délicat travail d'Épure. Entièrement dédiée au mystère de la danse, aux mondes invisibles qui la hante ou qu'elle recèle, son écriture fait surgir un peu de cet impossible à nommer qui fonde son approche des corps et du mouvement. Tandis que ses pièces nous apparaissent comme autant de majestueuses contemplations scellÉes dans l'abstraction des gestes.
Depuis 1986, et une création pour quatre danseurs, Palm Trees on Colva Beach, Paco Dècina a progressivement abandonné figures et objets, motifs antiques ou byzantins autour desquels gravitaient les corps en scène dans ses premières pièces. Rêveries illuminées tour à tour immobiles ou en mouvement (Ombre in rosso antico, 1989), paysage mental (Mare rubato, 1996) se sont peu à peu effacés au cours des vingt années d'existence de la compagnie. Toujours plus en retrait, posture consciemment anachronique dans le paysage de l'ACTUALITÉ, Paco Dècina s'est davantage focalisé sur le corps et l'espace, la lumière et la couleur. Il a resserré son propos et fait disparaître jusqu'au moindre signe. En 1997, Préface à une ombre portee, solo écrit pour une danseuse, Maria Donata d'Urso, Infini solo de Paco Dècina créé en hommage à Christian Ferry ainsi que Cinq passages dans l'ombre, pièce pour cinq interprètes, sont la marque d'une profonde mutation au cœur de son travail. Tant du point de vue du mouvement dansé que de son approche de l'espace scénique. Le changement de millÉnaire est aussi pour le chorégraphe l'entrée dans une nouvelle période. Avec Neti-Neti (2000) un duo créé pour les jeunes interprètes qui rejoignent sa compagnie, Valeria Apicella et Paolo Rudelli, le chorégraphe engage sa danse dans le continuum du mouvement. Issu d'un dialecte de l'Inde, le titre signifie "ni ceci, ni cela". En termes dansés, il s'agit de s'extraire des tensions et des oppositions pour trouver un espace de déliement. Cette sorte de dépassement passe par un état d'abandon. De ce "non-vouloir " naît une gestuelle fluide et charnelle qui privilÉgie les courbes et l'enroulement des gestes. Elle donne à la danse sa qualité recueillie, son sens de l'espace et du dialogue, une qualité de toucher qui tient du recueillement.
En résidence au Théâtre de la Cité internationale depuis novembre 2005, la Compagnie Paco Dècina, a récemment créé un duo interprété par Valeria Apicella et Paco Dècina. Dans cette pièce, le chorégraphe dévoile une autre facette des ressources du mouvement. Trajectoires et tracés, distance et corps à corps, gestes portés ou effacés, corps présents ou disparus, soutenus, déportés, intensifiés dans la vibration des lumières donnent un nouveau visage à la danse. Chevaliers sans armure évolue dans la pulsation du cœur, au rythme des Émotions immergées dans les radiations d'un rouge puissant. Une autre manière de reprendre contact avec cet espace intime où se joue le "théâtre des sentiments", de suspendre le temps pour se relier aux mondes invisibles et aux possibles qu'il abrite.
Encore en devenir, une prochaine métamorphose doit s'accomplir à travers la couleur Indigo qui titre sa nouvelle création prévue avec six danseurs. La poÉtique du sensible qui naît de l'intuition et des phénomènes de perception à l'origine du mouvement dansé, s'accompagne ici d'une recherche particulière autour de la lumière. Après avoir interrogé le souffle (Soffio 2003), Paco Dècina poursuit sa réflexion en renouant avec la dimension spectrale de sa démarche. Avec une conviction qui s'inscrit dans les fondamentaux de l'art chorégraphique : "La danse, ce n'est pas l'espace parcouru, mais le mouvement en train de s'accomplir. C'est la nudité sous le vêtement du mouvement codifié, la vie de l'instant présent qui apparaît sous la forme "reconnue". Interroger le corps, c'est interroger le monde".
On n'insistera pas sur la dérision inscrite dans le nom même de sa Compagnie – Post-Retroguardia – à notre Époque où les avant-gardes se cherchent. Toujours est-il que ce Napolitain venu vivre et chorégraphier en France livre un point de vue à rebours d'une certaine modene craignant pas de parler de l'aspect social et convivial du spectacle. Son style sensuel tient à une langueur qui s'insinue lentement dans chaque geste, l'instant est suspendu, dissolu dans un temps étal, les corps engloutis dans un clair-obscur s'entrelacent, se chevauchent, s'allègent. Ses chorégraphies semblent toujours chercher la limite de l'arrêt, le moment où le mobile tend vers l'immobile sans rompre le mouvement.
Cette gestuelle prend une dimension sacrée, spirituelle grâce au mélange musical qui ouvre encore l'espace. Il faut dire que Paco Dècina poursuit une recherche toute orientale sur ce qui unit l'être et le cosmos qui se ressent dans ses chorégraphies d'où les heurts sont bannis. Dans ce sens, l'on pourrait presque avancer que Paco Dècina est un utopiste de la dernière heure, lui qui croit encore que l'on peut trouver un chemin qui ne barrerait pas d'un trait la séparation entre le corps et l'esprit.
Ses chorégraphies semblent toujours une Émanation du silence, comme le bourdonnement qui précède un raga du soir. Les musiques qui accompagnent ses pièces sont souvent d'inspiration orientales, elle font appel au souffle, au timbre des voix, et, de ce fait, peuvent être considérées comme ÉlÉments corporels et chorégraphiques à part entière. Ses Éclairages, très travaillÉs, comme burinant l'espace sont une sorte “d'œuvre au noir”, tandis que les gestes gravent le vide telle une eau-forte.
Dans nombre de ses pièces, la lumière glisse sur la ligne des bras, sinueuse, maritime, creusant le plateau de courbes fluides, comme une coupe d'Éternité dans le flux temporel. Il inscrit dans l'air ce qui pourrait être un idéogramme de la danse, un signe du corps qui se sculpte lentement. Peu à peu, le dessin s'affirme, Émergences d'un monde intérieur, l'image se révèle tremblante comme à peine sortie d'un bain photographique. Elle se dégage de l'ombre en métamorphoses hypnotiques : une forme surgit, innommable, magnifique tel un dieu à moitié animal. Mais non, c'est un homme, c'est une femme, et le couple qu'ils forment se diffracte en lignes répercutées dans des gestes amples. Prises, Étreintes, disparitions ponctuent des chorégraphies très tactiles, sensibles et concentrées.
Tout en extensions et extraordinairement fluide, la gestuelle se suffit à elle-même : penchés retenus, enroulÉs, reptations, pas courrus, fusion, confusion des êtres, courses à l'unisson, cette danse, finalement mystique et contemplative tend vers une quiétude propice à la méditation. Malgré un raffinement du geste qui donne au spectateur la sensation de pénétrer dans la pensée intime du danseur, c'est l'interstice ou l'intervalle d'un mouvement à un autre qui intéresse le chorégraphe plus que sa forme définitive. D'où cette impression que le corps est une perpétuelle transformation ou une Éternelle naissance. Ce n'était pas le jour, ce n'était pas la nuit dit le titre de sa dernière chorégraphie, mais cette phrase pourrait bien résumer toutes les pièces d'un chorégraphe qui joue à se tenir dans une ombre suave… entre chien et loup.
* Extrait de "Diversité d'un paysage chorégraphique" france danse, Volume 2 (AFAA 2003)