INDIGO di Paco Dècina
Produzione Compagnia Post-Retroguardia Paco Dècina
in coproduzione con
con il sostegno di Ville de Paris
14, 15 giugno Auditorium Domenico Scarlatti della RAI
Prima Nazionale, durata 90'
Paco Dècina, chorégraphe d'origine italienne, né à Naples, réside en France depuis maintenant 18 ans. Il fonde la compagnie Post-Retroguardia en 1986 et obtient en 1987 le prix de chorégraphie de la Ménagerie de Verre avec Tempi Morti. Depuis il a créé plus d'une vingtaine d'œuvres, dont beaucoup ont été présentée à Aubusson ou à Limoges (Ciro Esposito fu Vicenzo, Mare Rubato, Cinq passages dans l'ombre, Fessure, Neti-Neti, Lettre au Silence). C'est donc en habitué des scènes de notre région que nous l'avons rencontré à la suite de la présentation de sa nouvelle création Soffio (le souffle), au Grand Théâtre de Limoges.
Les nouvelles musicales et chorégraphiques du limousin : Ce n'est pas la première fois que tu présentes une pièce en région Limousin. Que penses-tu de cette fidélité ?
Paco Dècina : Soffio est la 5 ou 6ème pièce que je présente à Limoges. Cette ville accueille toujours mon travail avec chaleur, grâce au soutien fidèle et généreux des responsables de la programmation. L'habitude des rendez-vous crée une complicité avec le public qui est là, toujours nombreux, toujours attentif et réceptif. C'est très agréable.
Les NMCL : Quel a été ton point de départ pour cette création ?
PD: J'ai écrit un petit texte qui figure toujours sur le dossier de présentation. Il y est question d'un plateau vide, lieu d'expériences et de désolation. Dans cet inconnu, comme seul repère et ligne d'appui, un fil, subtil comme la soie, qui semble relier chaque instant de notre existence…
Les NMCL : Tu as longtemps été guidé dans tes créations par des visions ou des intuitions « plastiques » ou mythologiques. Que cherches-tu actuellement ?
PD : Petit à petit, la danse elle-même a influencé ma recherche et je me pose les questions suivantes : qu'est-ce que le mouvement, qu'est-ce que le corps ? J'ai souhaité laisser tomber le côté dramaturgique et narratif. En approchant d'autres techniques que la danse (médecines ou philosophies orientales), je me suis rendu compte que l'on peut aller à la recherche de ce corps sans sombrer dans le psychologique et l'affectif.
Les NMCL : Comment libérer ce corps de ses désirs, de ses peurs, de sa mémoire ?
PD : Je recherche un espace vierge, un champ où quelque chose de nouveau peut arriver, sans à priori. Mon travail voudrait s'appuyer sur un certain dépouillement, et une acceptation totale de ce qui « arrive ». Pour cela il faut ouvrir, rendre son corps disponible, regarder ce qui se passe, laisser Émerger l'inconscient sans « borner » le corps.
Les NMCL : Justement, comment choisis-tu tes interprètes ?
PD : Je regarde un danseur et je vois s'il a quelque chose qui résonne avec mon travail.
Le danseur doit pouvoir se remettre en question : la danse doit être un outil pour apprendre le monde, pour être « beau ». Je demande à mes interprètes une qualité de présence, et de savoir pourquoi ils dansent.
Les NMCL : Pour parler de l'humain, la haute technicité de tes danseurs est-elle forcément nécessaire ?
PD : Si je travaille avec des danseurs moyens techniquement, je suis obligé d'accumuler les références et les explications psychoaffectives pour arriver à mes fins.
La vraie technique, c'est ce qui te permet de te mettre à distance avec toi-même, de te détacher des problèmes dus à ton corps. Je ne pense pas m'éloigner de l'humain en choisissant des danseurs « performants ». Je ne mets pas en scène des gens « ordinaires ».
Pour parler de l'esprit des gens ordinaires, j'ai besoin de gens « extraordinaires ».
Le spectacle doit nous permettre de voir de façon différente la vie de tous les jours. Je recherche une nouvelle attitude de vie, à la fois acceptation de la souffrance, mais aussi détachement. Il faut s'éloigner du narcissisme et de la perversité pour être capable de proposer de nouveaux espaces à l'être humain.
Les NMCL : Cela nous fait une transition pour revenir à Soffio. Peux-tu nous donner quelques éléments pour comprendre comment tu as travaillé sur ce « fil » avec tes 6 interprètes ?
PD : Le fil conducteur a été de rendre les corps disponibles, pour laisser apparaître l'inconscient à travers les mouvements, sans aucune interdiction.
Je propose des situations très simples (espace, temps, couleurs et qualité de mouvement). Les danseurs doivent être dans une attitude corporelle de « laisser aller ».
Les corps commencent à parler, et je laisse faire mon intuition : ça, c'est juste, ça non. Toute l'équipe de création sait au départ ce que nous cherchons.
L'idée de départ, un fil de lumière que l'on tire petit à petit, comme on détricote un pull : on défait un espace, mais le fil est toujours là, afin que le mouvement caresse tout l'espace du théâtre jusqu'au dernier spectateur.
Les NMCL : Où est passé le lien très fort que tu avais avec les arts plastiques ?
PD : Ce lien continue à exister de façon abstraite, même si ce spectacle n'a pas besoin de décor au sens propre du terme, mais il a tout de même un écrin de lumières !
J'ai demandé à Laurent Schneegans de travailler sur les couleurs et les ambiances, il n'y a pas de zones trop « découpées » ou graphiques. Il me semble quand même que c'est beaucoup moins sombre que dans mes précédentes créations.
C'est vrai que c'est difficile d'être seul face à l'espace, mais je souhaite continuer dans ce sens, et avoir de moins en moins besoin de béquilles.
De même je n'écris plus la danse sur mon propre corps, j'écris directement sur le corps des danseurs. Je leur donne simplement des impulsions, des qualités de mouvement, des « matières », comme en arts plastiques, justement !
Les NMCL : Et le souffle, Soffio ? Il est très présent dans la bande son ?
PD : J'ai proposé à Olivier Renouf des musiques (flûte, flûte indienne, voix), il les a « tricotées » avec diverses ambiances sonores et les compositions Électroacoustiques de Christian Calon.
Soffio, c'est ce fil, c'est le souffle de la vie… Ce souffle qui nous donne juste une direction, mais pas un parcours prédéterminé, et sûrement pas le point d'arrivée !
Il me semble quand même que ce spectacle est plus apaisé que les précédents, en tout cas moins angoissé !
Les NMCL : Toujours cette recherche de la sérénité !
Entretien avec Paco Dècina, artiste sensible en quête d'universel. La résidence de sa compagnie Post-Retroguardia s'achève en juin à Bezons.
Comment êtes-vous venu à la danse ?
J'ai toujours travaillé avec le corps. Quand j'étais enfant, j'étais attiré par la peinture, le dessin, le théâtre, le cinéma, le sport. Quand j'ai découvert la danse, elle a été une évidence. J'ai compris qu'il y avait quelque chose pour moi là.
Comment naît l'idée d'une création ?
Chaque création fait partie d'un parcours. C'est un état d'être. Suivant le moment historique, personnel et social, la problématique artistique prend corps derrière un propos. Ce n'est pas une idée dramaturgique, c'est quelque chose de beaucoup plus profond. Pour moi, si vous arrivez avec une idée précise, c'est un exercice de style, ce n'est plus une création. Il faut savoir prendre des risques, dépasser les limites convenues, ouvrir de nouveaux espaces.
Quelle est la place de la musique dans votre travail ?
Je parle peu quand je travaille. Je mets de la musique, en boucle, pour créer un autre espace-temps, pour laisser les corps s'exprimer. La musique du spectacle est quelque chose de réfléchi, qui me donne un appui rythmique, mais que je retire si elle s'avère pléonastique. Je travaille parfois sur un silence. La musique a une dramaturgie très forte. Dans mes spectacles, j'essaie de créer une nouvelle dramaturgie pour servir la danse.
Lettre au Silence et Neti-Neti tendent vers l'épure, pourquoi ce tournant ?
C'est la conséquence de toute une vie, d'un cheminement. Petit à petit, on s'affine. Nous vivons dans une époque pleine de décors. Avant, j'avais besoin de béquilles. Aujourd'hui, j'essaie d'aller à l'essentiel. C'est un travail d'investigation sur soi. La vie n'est que ça, l'art encore plus.
Quel rôle peut jouer la danse contemporaine dans la société d'aujourd'hui ?
Pour moi, classique ou contemporaine, la danse — comme l'art en général — est un temps donné à soi-même, un moment privilégié. Je cherche une simplicité, un dépouillement, un espace de silence en retrait de la rumeur du monde. C'est un moment de respiration.
Comment vous situez-vous par rapport aux grandes tendances de la danse ?
On est influencé par tout, ce qu'on aime et ce qu'on n'aime pas. Ce qui m'intéresse, c'est pourquoi et comment nous habitons notre corps face à quelque chose. Après, tout est affaire de mode et de talent… Il y a des artistes qui m'ont profondément touché et qui se sont fait happer par le système, d'autres dont la danse me touche moins mais dont je trouve le parcours Éblouissant. Les noms ne sont pas importants. Ce qui importe, c'est ce qu'il y a derrière, le fond. En tant qu'artiste, il faut travailler sur soi.
Voici les réponses de Paco Dècina
Le lieu de réflexion
Partout car, avant de réfléchir, j'ai besoin d'écouter ce qui se passe autour de moi.
Comment naît l'idée d'une création ?
Chaque création fait partie d'un parcours. C'est un état d'être. Suivant le moment historique, personnel et social, la problématique artistique prend corps derrière un propos. Ce n'est pas une idée dramaturgique, c'est quelque chose de beaucoup plus profond. Pour moi, si vous arrivez avec une idée précise, c'est un exercice de style, ce n'est plus une création. Il faut savoir prendre des risques, dépasser les limites convenues, ouvrir de nouveaux espaces.
Le choix des sujets
Les thématiques abordées dans mes spectacles viennent toujours d'une recherche intérieure et philosophique sur les questions existentielles que peut se poser l'être humain. Il y a comme un bouillonnement intérieur très physique qui prend forme petit à petit. Le sujet finalement s'impose de lui-même. Mon travail de chorégraphe est davantage de défaire que de construire.
Le titre de la création
Il arrive un moment où je souhaite mettre de l'ordre à un certain chaos intérieur. Mais un titre c'est avant tout du temps et de l'espace. C'est un rythme qui ouvre un espace imaginaire et qui donne une indication mais pas plus. Après je passe à l'écriture du texte.
Le choix des interprètes
J'aime travailler un certain temps avec les mêmes danseurs. En général, une rencontre au café me suffit pour savoir si oui ou non je veux travailler avec cette personne. Je suis toujours à la recherche de « la » rencontre. Ensuite, ce qui est important c'est la remise en question autant pour moi que pour eux.
Les répétitions
Les premières répétitions me permettent de créer différentes partitions que je mets ensuite bout à bout. Au début, il est rare que je travaille avec tous les danseurs en même temps. Du fait que j'écrive beaucoup sur la mémoire du corps, j'ai besoin de ce rapport plus intime. Généralement, je consacre trois à quatre mois aux répétitions.
L'espace scènique
Un nouvel espace amène une nouvelle découverte de la pièce car on ne la voit plus de la même manière. Dans mes premières créations, j'utilisais beaucoup de décors. J'avais besoin d'une présence matérielle car l'espace à l'intérieur du corps était très réduit. Maintenant, je n'en utilise plus du tout et je préfère laisser respirer une pièce.
Les lumières
La lumière est une des armes les plus subtiles pour amener le spectateur vers la pièce. Elle permet de créer une multitude d'espaces et d'ambiances.
L'équipe technique
Je travaille toujours avec les mêmes personnes autant pour les costumes, que pour le son et pour les lumières. J'attends qu'ils me soumettent des idées, et qu'ils me fassent des propositions. Ces questions-là interviennent souvent quand la chorégraphie existe déjà.
Les rapports avec la production
Il n'y a que très rarement un dialogue artistique avec eux, à part s'il s'agit de commandes. J'essaie de réunir le maximum de producteurs sur mes spectacles mais c'est souvent eux qui vous choisissent.
La première
à la première, on ne sait rien. C'est au bout de la dixième représentation que je commence à voir et à comprendre la pièce véritablement. Ma seule préoccupation envers une première c'est d'arriver à savoir si on est prêts ou pas.
Le moment favori
Dans le travail et la relation avec les autres. Sinon j'apprécie beaucoup ce moment où l'on passe du studio de répétition à la scène, où la pièce prend alors une tout autre dimension.
Le moment douloureux
Il y a une certaine peur devant la création car on se retrouve face à quelque chose que l'on ne connaît pas. Soit vous prenez le mécanisme et vous refaites ce que vous connaissez déjà, soit vous tentez de casser cette mécanique.
A la recherche d'un "espace blanc", tout imprégné de pensée orientale, le chorégraphe Paco Dècina présente Neti-Neti
Aden : Neti-Neti ("Ni ceci, ni cela "),votre nouvelle création est un duo qui emprunte son titre à la tradition indienne. Il se réfère, dites-vous, " à la négation de tout nom et de toute forme dont est fait le monde, dans le but de se tenir en direction de l'Un". Un peu difficile à suivre, non ?
Paco Dècina : On a toujours besoin de se rassurer par une compréhension éventuelle pour remplir un vide profond. Un duo est quelque chose qui ne tombe pas du ciel, c'est un parcours. Je ne suis pas intello, je suis intuitif. Un titre est important car, pour moi, c'est la première étape, la première organisation dans le temps et dans l'espace de tout travail qui s'ébauche. Quelque chose bouillonne en moi, avec beaucoup d'énergie. Avec le titre, je ne sais pas encore où je vais, alors j'avance à tâtons. J'écris des textes, c'est le début de la dramaturgie. J'écris comme les mots viennent ; après il me faut mettre cela en forme. Je choisis aussi quelques musiques sur des coups de coeur ; alors seulement commence le travail avec les interprètes. En tout cas, je reste persuadé que ce n'est pas moi qui fais les pièces. Comment ça vient, je ne le sais toujours pas... Je me suis également rendu compte que j'étais arrivé à un moment de mon travail où l'on me demandait de me justifier, d'éclairer, de donner des certitudes. Or, dans ma recherche, il n'y a pas de réponse.
On est très proche de la pensée orientale !
Oui, parce que la philosophie orientale s'intéresse plus au corps. J'essaie de créer une largeur et un espace blanc, inexploré par rapport à nos doutes. C'est un postulat qui n'est pas valable uniquement pour la danse, mais pour toute ma vie.
Qu'est-ce-que c'est que cet "espace blanc" ?
C'est le vide , un espace où tout est possible.
Qu'est-ce-que le corps, alors ?
Sûrement pas un simple ensemble de tendons, de muscles et d'organes. C'est une partie de la forme de notre organisation, de notre relation au monde. La pensée est un corps, les affects aussi. Il n'y a pas de différence entre physique et psychique.
Ce ne doit pas être facile de trouver des danseurs en phase avec de tels postulats !
Je travaille avec des gens, qui, comme moi, remettent leur vie en question et qui se rapprochent de cette famille de pensée. Je travaille sur la mémoire du corps, c'est-à-dire sur l'ensemble de l'organisation de la personne et pas seulement du corps, conscient et individuel. Dans ma rencontre avec l'interprète, je sens intuitivement si la matière corporelle peut entrer en résonance avec moi. Je choisis les danseurs comme une histoire d'amour.
Le chorégraphe donne naissance à une poétique du mouvement où le flux gestuel se déploie ici puis redémarre là, dans une infinie vibration volatile.
Urbuz : La danse se manifeste dans une forme de neutralité, avant le stade d'expressivité, à quoi cela est dû ?
Paco Dècina : Tout cela correspond à la Danse. Il ne faut pas confondre danse et mouvement musculaire. C'est la sensation déclenchée qui est capitale et pour moi elle est travaillée dans l'oubli. En effet, le travail de création, la manière d'amener la rencontre avec le public est particulier et chaque chorégraphe possède un processus personnel de mise en place de cette relation afin d'amener l'interprète et le public dans un autre espace-temps. La danse est de cet ordre, complètement inexplicable, elle échappe à tout. Elle est un mouvement de vie. En réalité, il s'agit de voir et surtout de donner plus d'espace au regard. Il est vrai que souvent le spectateur (et j'en suis un aussi) cherche toujours à reconnaître un mouvement. Cela le soulage du renversement profond que les sensations liées à la danse provoquent en lui, car elles sont de l'ordre de ce qui noue, que ce soit en regardant ou en pratiquant la danse. Accepter de ne pas comprendre par où cela passe semble difficile, mais permet d'accéder à des sensations uniques. à trop vouloir comprendre, on finit par fermer la sensation à ce qui est déjà connu. C'est la même chose quand je travaille avec les interprètes. Plus je leur parle, plus je les oriente en désorganisant leur pratique, alors j'interviens le moins possible. Ils doivent donc lâcher quelque chose d'eux pour aller au-delà. Cela nécessite une confiance mutuelle totale.
Urbuz : Dans Neti-Neti, la présence des interprètes ne surpasse jamais la danse, les spectateurs eux-mêmes sont dans la même instance, serait-ce un travail basé sur une forme d'essence du mouvement ?
Paco Dècina : Je suis chorégraphe, je cherche à travailler sur des émotions qui émanent du plus profond des interprètes. Dans mon travail, je suis mon intuition, j'ouvre au maximum les possibilités autour d'un sujet et je tente de puiser au plus profond la vérité de chaque interprète. J'aime transmettre l'essence du mouvement plutôt que la forme. C'est une qualité universelle qui permet au corps interprète d'être en lien direct avec sa propre histoire. Je tente toujours d'accéder au mouvement par son essence et jamais par l'extérieur. Ainsi, tout est dans le même flux et progressivement le spectateur se retrouve aussi dans le même état...
Urbuz : Comment avez-vous travaillé le rapport à la musique présente sous différentes formes ?
Paco Dècina : Parfois la musique utilisée dans le spectacle est utilisée dès les répétitions, ainsi la danse naît à ce même moment, car elle est travaillée avec la musique du spectacle constamment. C'est le cas pour les chants tibétains. Parfois, la musique arrive après. Il y a aussi des moments dans les répétitions où j'ôte la musique, quand l'ensemble devient lourd et que la danse ne peut plus se développer. En réalité, ce n'est pas moi qui crée, ce sont mes interprètes, c'est la société à ce moment-là. Je ne suis qu'un catalyseur et même si la couleur du regard est la mienne, je ne sais pas de quel Moi ça vient.
Rosita Boisseau : Paco Dècina, qu'est ce qui a motivé cette collaboration avec la photographe Lee Yanor ?
Paco Dècina : J'étais arrivé à un moment de mon parcours où j'avais envie de changer de support, de décor pour mes spectacles. Les 5 ou 6 dernières années, j'ai toujours travaillé sur des toiles, avec des matières très épaisses, des couleurs et un plasticien qui s'appelle Christophe Desforges avec qui j'ai commencé à travailler en 89. Donc, les lieux symboliques, physiques, scénographiques, je dirai l'espace de chaque création sont très importants pour moi. Quand je commence à travailler, tout seul dans ma tête, une des premières questions que je me pose c'est : « dans quel espace nous trouvons-nous ? ». J'ai toujours utilisé les toiles parce que ça me permettait d'avoir un espace plus abstrait et plus mobile, qui pouvait à certains moments répondre à des exigences d'extérieur et, à d'autres moments, à des exigences d'espace intérieur. Avec l'épaisseur de la matière et l'aide des lumières, on pouvait facilement passer d'un univers à l'autre. Le problème c'est qu'au fil des années cet instrument s'est un peu Épuisé et j'ai senti que je risquais de tomber sur quelque chose que je connaissais déjà et que, à la limite, ma préoccupation demeurait seulement dans la couleur que j'allais utiliser. J'exagère un peu… En plus, dans mon évolution artistique, commençait à se présenter une exigence de légèreté et de transparence. En rencontrant et en parlant avec Lee Yanor, je lui ai présenté cette exigence d'avoir un décor plus proche de l'invisible, un décor qui n'était pas vraiment fait que de lumières. Je suis encore dans une période où j'ai besoin de la trace de la chair, de la trace de la pesanteur, mais une pesanteur qui commence à devenir plus légère. Dès qu'on a eu cette intuition, Pompéi, Herculanum, les villes du Vesuviana ont surgi dans mon esprit, tout cet univers volcanique dans lequel je suis né.
R.B. : Alors, du coup, vous avez embarqué Lee Yanor à Naples et c'est là que vous avez fait une cargaison d'images et de films.
P.D.: Nous sommes partis. On savait qu'on était attiré par ces lieux-là. Pourquoi ? Nous ne le savions pas au fond. Alors on a commencé à chercher, à se promener dans la ville, dans les ruines, et tout d'un coup la magie s'est faite : on a complètement abandonné ce travail intellectuel et rationnel, oublié ce qu'on faisait là et pourquoi ; on a été saisi par l'émotion de cette mémoire qui a resurgi après tant d'années de silence.
R.B. : Donc à la fois des images photos qui sont projetées, des films qui sont projetés aussi je crois, sur le corps des danseurs. C'est, non seulement toute la scène qui est investie comme support d'images mais aussi le propre corps des danseurs. Tout est mobile, tout bouge.
Le titre du spectacle c'est Cinq passages dans l'ombre ou Transparenze. L'aspect transparent. Vous insistez beaucoup je crois sur cette transparence-là à travers l'ombre.
P.D.: Oui, je ne voulais justement pas donner au terme « ombre » une caractéristique sombre, infernale ou mortifère. Je voulais plutôt donner le sens de l'impalpable, le sens du léger, de quelque chose de mystérieux. On peut donc lire l'ombre dans ce sens-là. Je voulais qu'en resurgissant elle devienne plus lumineuse et transparente. Transparente dans le sens que l'on a la possibilité de percer ces voiles de mémoire et leur faire raconter des histoires, notre histoire…
R.B. : C'est vrai que vos spectacles sont d'abord très porteurs d'images, de tableaux et du coup, ils sont souvent suspendus dans une espèce d'apesanteur. Il y a des moments qui flottent. Donc là, par le biais de la création de Lee Yanor, est-ce que vous arrivez justement à un peu plus de légèreté, ce que vous semblez chercher, et de quelle façon ?
P.D.: Je pense qu'il y a un peu plus de légèreté, je dirai, peut-être, qu'il y a plus de vie. La vie vous amène forcément à un mouvement, une douceur. La vie, c'est quelque chose de souple, c'est comme l'eau. Oui, je dirai qu'il y a quelque chose de l'eau dans ce spectacle donc forcément de la sensualité, de la liberté. C'est sûr que l'on porte toujours avec nous aussi la mémoire de la difficulté, de la souffrance, du poids, du poids du corps. Mais je dirai que petit à petit ce poids du corps commence à s'alléger. Même les articulations : si elles nous parlent à un moment d'une souffrance, il y a une distance, il y a beaucoup plus de distance, elles nous parlent de cette pesanteur mais elles sont légères. Elles commencent à se libérer.
Le chorégraphe Paco Dècina et la photographe Lee Yanor dans Cinq passage dans l'ombre au Forum Culturel du Blanc-Mesnil les 10 et 11 octobre et en solo sur l'hommage à Christian Ferry au Théâtre Contemporain de la Danse du 3 au novembre à 19h.
L'un et l'autre ont un « projet esthétique ». L'un et l'autre, dans leurs derniers spectacles, questionnent la représentation et la perception. Parce que la danse est (aussi) un art de vision, Paco Dècina et Hervé Robbe s'entretiennent ici du rôle de l'image.
Napolitain d'origine, Paco Dècina se fait connaître en France avec Tempi Morti en 1987. Composition très écrite, formes géographiques, chutes, mouvements au sol établissent un paysage sentimental aux poses et visages ouverts aux musiques du Sud. Paco Dècina s'efforce d'ôter du poids aux figures humaines, à la rumeur des villes, aux archétypes qu'il utilise. Toute pesanteur peu à peu s'efface. Selon l'image mentale qui provoque chaque création, Ombre in rosso antico (1989) soustrait à la pierre son immobilité. Il s'agit de mettre à jour les traces ou la mémoire des corps gravés en lui. La danse est celle d'un songe, les gestes tiennent à la fresque, brisés parfois sous le mouvement bruissant des désirs enfouis.
Du visible à l'invisible, le désir d'exactitude,qui pointe au dur et à mesure des pièces, conduit à Vestigia di un corpo (1991). Lieu de mémoire aux gestes arrachés, morcelés à l'irruption d'un inconscient collectif marqué par l'Histoire de la barbarie.
Depuis cet art de la visibilité successivement développé, Paco Dècina dessine la pensée d'un monde fait de l'étoffe même du corps. Ciro Esposito fu Vicenzo (1992) est imagination qui s'y fait jour, répond aux images qui inondent l'espace quotidien, à l'accélération du temps ordinaire qui obture la fantaisie. Ciro Esposito évoque par tableaux charnels et poétiques, un temps retrouvé grâce aux sensations offertes par le temps perdu, accents ou instants singuliers créés par ces concentrations de l'être.
Dans l'entrelacs de la vision et du mouvement, les chorégraphies de Paco Dècina font de l'image originelle une pensée qui déchiffre strictement les signes donnés dans le corps. Sa pièce la plus récente, Fessure, créée le 18 février dernier à Chartres (en co-production avec l'Isadora-Danse au Centre), développe et amplifie une singulière œuvre au noir, qui opère dans la faille de la vision, la mise à jour des gestes enfouis. Paco Dècina qualifie Fessure de : « petites blessures de l'invisible qui laissent apercevoir, dans un espace vide, qui semble ne contenir plus rien de perceptible, la coulée continue de nos sentiments. Petites fissures, au temps suspendu, qui nous amènent dans ces petites pièces où le vide semble prendre la place des corps, ces corps lointain, dont l'histoire est perdue derrière les fentes ». (…)
Il était tentant, à la lumière de leurs récentes créations, de réunir autour d'une « conversation sur l'image », Paco Dècina et Hervé Robbe, deux chorégraphes bien distincts pour qui, cependant, la danse ouvre à une « iconographie du possible ».
Propos suivants recueillis par Irena Filiberti
Vous avez tous deux pris le parti d'une critique de l'image. Hervé Robbe avec Id, Paco Dècina dans Ciro Esposito fu Vincenzo. Le premier part du constat que les images éloignent l'homme des pratiques communautaires, le second évoque la nécessité de prendre le temps de penser à la mort.
Paco : On n'a plus le temps dans la vie. On n'en trouve plus. Penser à la mort, c'est une façon de dire que l'on peut agir, réfléchir sur d'autres données que matérielles ou quotidiennes, qu'il est nécessaire de retrouver un temps pour nous-même. Mais je n'ai jamais parlé de l'image. Et je voudrais revenir sur ce mot, le clarifier car il est souvent utilisé avec un sens négatif que je ne partage pas.
Hervé: Je crois comprendre la réticence de Paco. On a besoin d'images. En recréer, travailler sur le patrimoine symbolique sont des gestes nécessaires. Mais ce que j'évoque dans Id concerne une situation actuelle de consommation, le manque de pratique communautaire induit par la télévision, par exemple. Paradoxalement, alors que l'image devrait faire transiter du sens, servir à créer un regard critique sur le monde et les sujets qui nous préoccupent, comme la mort, les outils de communication tendent finalement à abolir des questions importantes. Par manque de confrontation, de débat direct, on crée une illusion. Les problèmes réels ne sont plus abordés. Mais je vis dans l'image. C'est même ce qui me tient en mouvement, me permet d'agir.
De quelle façon intervient-elle dans votre travail respectif ?
Paco : C'est la conséquence d'un fond, d'une dynamique, d'un propos. Je travaille d'abord sur ces éléments, ensuite vient la mise en forme, l'image. Elle est comme un moment fermé longtemps dans l'espace, un résumé maximal à chaque moment de ce qu'avec les danseurs, on a envie de transmettre : Énergies, sensations, émotions.
Hervé : Dans le processus de création, on n'a pas une idée précise de ce que va être l'image. Elle provient des projections des différents niveaux de couleurs, de matières, d'états de corps, etc. qui vont à un moment donné matérialiser une forme qui elle-même devient une image. En tout cas, on la traite comme telle. Mais nous sommes aussi dépendants du travail souterrain de l'inconscient au sens où nous sommes les héritiers d'une histoire, d'un contexte culturel que nous véhiculons. Ces facteurs sont déterminants dans le regard que nous portons sur le monde, dans notre façon de s'interroger, de travailler sur un sujet particulier. Ils contribuent à la façon dont une image s'impose. Celui qui regarde y joue aussi un rôle. Comment une personne s'approprie ou non l'image, toutes ces données interviennent dans la lecture. Dans Id, j'ai voulu suggérer que l'écran est comme un miroir qui tue par absence de débat donc de pratique communautaire. Il est donc facile ensuite d'aller vers une manipulation de l'image. Il est fascinant d'analyser ce qui circule en elle, son intention positive, ce qu'on en fait, sa manipulation. Il n'y a pas de bonnes et de mauvaises images. Toute forme créée fait appel à une esthétique particulière et, pour le regardant, à une approche sensible qui provoque ou non son adhésion, qui pose question.
Parmi les aspects négatifs vous évoquez la télévision, l'écran, comment envisagez-vous la publicité ?
Hervé : Son intérêt réside dans sa manière de traiter le corps. La façon dont la publicité compose une image est unilatérale. Et le stéréotype qu'elle propose finit par s'installer, être opérant sur un groupe de personnes. Son discours joue sur le besoin d'identification, d'appartenance à une communauté. On en revient au pouvoir de l'image et au paradoxe de la multiplication des outils de communication dont la logique voudrait qu'elle conduise à des approches ouvertes, tolérantes et qui finalement aboutit à l'enfermement dans une fonction unique et une seule lecture.
Paco : C'est l'objectif de la publicité. Le problème vient plutôt du glissement de sens autour de ce phénomène. Il existe aujourd'hui une confusion dans toutes les disciplines para-artistiques. On célèbre comme des divas les illustrateurs, les photographes et les modèles qui travaillent dans ces milieux. La mode, la publicité restent des outils de consommation et de profits. Même dans la danse, il est plus facile de se poser en répondant à la demande. Le divertissement, tout comme les domaines que nous venons de citer rassurent, mais n'ont pas grand chose à voir avec un travail artistique.
Hervé : Pourquoi sont-elles si influentes ?
Paco : établir cette distinction relève d'un intérêt et d'un travail individuels. Entre la peur de la différence et le besoin d'appartenir à une communauté, il est facile pour le pouvoir d'imposer un modèle. Cela revient à ce que j'évoquais dans Ciro à propos du manque de temps pour penser à soi. La pression produite par l'organisation de la société est plus forte que l'individu. Il est difficile de ne pas être submergé. Avec le développement de la communication, l'information comme les voyages, tout le monde se retrouve dans le même espace, ce qui permet d'imposer plus fortement un système, un mode de pensée.
Hervé : Les espaces privilégiés où se poser des questions essentielles sont rares. Mais on peut très bien s'interroger de façon globale sur le pouvoir de l'image et définir de manière personnelle comment chacun aborde la chose. D'après ce que tu viens de dire, par exemple, il y aurait une espèce de résistance à voir.
Paco : Mais cela va au-delà de l'image. Celle-ci est un outil, un moyen. Ce dont nous parlons relève d'une position dans la vie. En mentionnant la cause, on s'écarte du sujet. Qu'est-ce qui nous pousse à faire des images ? Peut-être ma forme mentale est-elle de passer derrière l'image. Je me préoccupe seulement de celles que je crée, qu'elles soient la conséquence d'un certain travail.
Hervé : Mais celui qui regarde ne peut voir que de l'autre côté.
Paco : Il voit et ressent à travers elle. Je n'ai pas parlé de cela mais de ce qui crée l'image, qui elle même existe pour ce qu'elle est. Elle n'a pas besoin d'explications. C'est ce que je trouve magnifique. Quand elle est juste, parfaite, en harmonie, elle parle pour elle-même. Dans la langue, un film n'est pas une image. Est image, un tableau ou une photo. Ou bien on parle de l'image. C'est beaucoup plus abstrait.
Hervé : Pour moi, il n'y a pas de dissociation entre un objet physique qu'on appelle image, comme une photo, et l'idée de l'image. L'objet physique de la photo fait partie de l'image.
Paco : Ma propre définition distingue statique et mouvement. Ce peut être quelque chose de physiquement figé mais qui a une vie, une dynamique, un espace, un temps et c'est ce qui est magique. La danse et le cinéma sont une série continuelle de plans d'images.
Hervé : Si l'on suggère au spectateur une action du regard, une écoute, elle interviendra sur une succession d'images…
Paco : … Nous parlons depuis une heure. Cette heure n'est pas une image. Je pourrai dire ensuite que je garde une image de cette heure. Mais tout le développement, l'espace et le temps ne sont pas une image.
Hervé : Le contexte est différent. Ici, il y a une relation du regard et une communication par le langage. C'est différent de convoquer le spectateur à regarder. Dans Id, pour interroger la relativité, j'ai mis en situation des danseurs et des images de danse. Si on les superpose, compare ou associe, on obtient une multiplicité de lecture, et une difficulté à écrire ce qui est juste, ce qui harmonise, ce qui est vrai.
Paco : La lecture dépend aussi du vide, de l'espace laissé au spectateur. On peut créer des images qui ne lui laissent aucune place. Quelque chose d'hyper-narratif, de rempli ou même d'objectif. C'est peut-être intéressant, mais il me semble essentiel qu'une image donne à chacun la possibilité de retrouver son histoire. Un travail extrêmement descriptif dirige la lecture. Il peut même donner des pistes complètement fermées.
Hervé : C'est encore un travail sur l'image. Choisir, faire appel à une histoire, un contexte particulier permet l'interprétation de symboles donc d'images véhiculées dans une forme globale.
Paco : Si dès que l'on a les yeux ouverts, on se trouve devant une image, on y est forcément tout le temps. Pour moi, ce n'est pas ça, une image !
Hervé : Elle peut aussi faire intervenir d'autres sens que la vue : le toucher, l'odorat, l'oreille. Tu ne crois pas que le développement du pouvoir de l'image s'effectue au détriment d'une appréhension du monde sensible de façon plus générale ?
Paco : Non. Cela dépend du genre d'images que l'on donne. Le problème ce n'est pas l'image en soi mais ce qu'elle véhicule par son essence.
Hervé : Nous sommes au moins d'accord sur le fait qu'elle est utile et porteuse de sens.
Paco : Comment pourrais-je dire le contraire puisque je traite l'écriture avec l'image. Mais je suis en désaccord avec l'idée qu'elle peut être dangereuse. Ce n'est pas l'image qui est dangereuse mais ce qu'on en fait, la façon dont elle est contextualisée.
Quel est son rôle dans votre travail ?
Paco : Travailler dans le circuit de l'art contemporain, c'est déjà un choix. Ensuite, j'accorde une importance toute particulière au théâtre qui est l'un des derniers rites encore existant dans cette société qui nous pousse toujours plus à nous perdre à travers toutes les images. Je considère que mon travail, c'est d'abord un devoir social, un rapport à l'homme, un acte d'amour. Le fait qu'un artiste puisse avoir le temps de se consacrer à cela en fait une personne privilégiée car l'organisation sociale qui rythme la vie de la plupart des gens nuit à ce temps privilégié. Autrefois, il existait des périodes, des jours pour les rites. Il est important de préserver ces moments particuliers qui permettent d'aborder d'autres préoccupations et de se retrouver soi-même.
Hervé : Comme pour tous les artistes, notre rôle en tant que chorégraphes est de suggérer un certain nombre de questions, de façon poétique, à travers des images ou avec des actions qui sont plus que simplement une image.
Paco : Tu soulèves un point intéressant à propos du chorégraphe qui suggère quelque chose à travers des images qui ne sont pas des images.
Hervé : L'utilisation des images dans la société, leur rapidité produisent une réduction de sens, par manque de temps pour regarder et pour approfondir ce sens. Tout est lié à la rentabilité. Au lieu de communiquer on décommunique. Les arts du spectacle sont visuels mais pas exclusivement. Id prend en compte cette critique de l'image en plaçant le public dans l'espace théâtral avec des propositions : vous pouvez toucher les danseurs, vous voir. Vous êtes également une image. En utilisant la machinerie du théâtre qui joue sur l'illusion et la multiplication de l'image, la question qui reste posée est : qu'est-ce que je vois ? La forme choisie n'est pas conceptuelle mais sensible. Pour ce faire, j'ai travaillé sur le mythe de Narcisse.
Par ailleurs, si je partage ton avis sur la fonction rituelle du théâtre, je remarque qu'aujourd'hui on ne les construit plus en considérant leur sens symbolique. Ils ne sont plus que la représentation d'un certain pouvoir dans la cité.
Paco : L'image qu'il faut voir. Oui, mais dans l'art, l'image n'est pas considérée du seul point de vue de ce que l'on voir. Elle n'est pas seulement une représentation et ce que l'on voit ne concerne pas uniquement ce qui est inscrit physiquement. Cela se joue entre le pouvoir de suggestion dans le travail et la capacité de percevoir.
Hervé : Cela m'évoque la question qu'on se pose la première fois qu'on se voit dans un miroir. Moi qui regarde, mon reflet et « autre chose ». Ce qui me fait réfléchir sur : qu'est-ce que je vois, comment je vois, qu'est-ce qui est ? etc. Au-delà de la réalité physique du miroir et de moi m'exposant au miroir, il y a une tierce personne qui n'existe pas mais qui est en action, dans un rapport de questionnement par rapport à ces deux images.
Je me demande si le spectateur n'est pas aussi dans cette relation. On lui propose un objet vivant, il arrive avec son histoire, il reçoit un certain nombre d'informations de matériaux qui ne sont pas que des images physiques mais aussi des corps en mouvement, des gens qui parlent. J'insiste beaucoup sur le travail du spectateur. On peut, bien sûr, orienter la perception de l'objet qu'on veut donner, d'où l'importance d'être critique par rapport à une consommation des images, mais on ne peut occulter l'action du spectateur qui va se confronter à des éléments symboliques qui dépassent souvent notre conscience quand on les met en situation sur scène. Une lecture plus riche et qui nous échappe s'est finalement imposée.
Paco : Il est impossible de se projeter dans une image où l'intention de l'artiste n'est pas inscrite.
Hervé : Je n'en suis pas sûr. Certaines personnes fonctionnent de façon très Élaborée et consciente. D'autres, plus instinctives effectuent le même trajet mais de façon moins calculée.
Paco : Ce n'est pas parce que quelqu'un travaille sur l'instinct qu'il ne sait pas ce que c'est.
Hervé : Evidemment. Dans Id, je me suis demandé pourquoi une chose est plus visible qu'une autre, si la façon dont on crée la relation, le contact n'était pas déterminante pour la lecture du corps, comment mettre en éveil les sens du spectateur, mettre en situation le sensible. C'est ce qui m'a amené à cette question sur l'image. Ce qui constitue l'objet est important mais aussi là où l'on est assis, comment on regarde, de près ou de loin… Ces expériences très précises confirment qu'un même objet peut être lu de façon complètement contradictoire selon les situations.
Paco : Je ne crois pas qu'être seul devant un écran produise les effets dont tu rends compte. C'est plutôt la qualité de ce qui est donné à voir.
Hervé : Mais c'est aussi le fait que l'on puisse se suffire de ça. Il y a un état de perte, de tout ce que la pratique de corps peut comporter, du rituel du théâtre, de la décision de s'y rendre, de rencontrer les gens qui participent à cette expérience. En travaillant dans un théâtre et en tant que chorégraphe, j'ai vraiment l'impression de me trouver dans l'un des derniers lieux de résistance.
Paco : Un dernier point relatif à l'image concerne le fait qu'elle est complètement baignée aux sources culturelles. Une vraie image, avec un sens profond, avec une complète synthétisation, retrouve une communication universelle.
Hervé : La dimension universelle est plus proche des valeurs humaines. A partir du moment où une forme existe, elle a une définition dans l'espace, elle se regarde, c'est une image. Tous les chorégraphes travaillent sur l'image.
La danse peut m'ennuyer ! Enfant, je n'aimais pas du tout la danse, quand j'allais à l'Opéra avec ma grand-mère, chaque fois qu'il y avait un ballet, je trouvais cela terriblement ennuyeux. Voir sur un plateau une danse que je peux retrouver dans un studio ne m'intéresse pas, c'est un peu comme si j'allais au concert pour Écouter des gammes. Depuis l'âge de quatre ans, je pratiquais intensivement des sports de compétition et j'ai commencé en fait à danser très tard lors de mes études scientifiques à l'université, après avoir fait aussi de la musique (mais je n'étais pas doué), de la peinture, de l'écriture, du théâtre (mais je n'aimais pas le texte). Par hasard, un jour, à Rome, j'ai pris un cours de danse afro-cubaine, et tout d'un coup j'ai senti que cela résumait toutes mes expériences artistiques passées. J'ai eu la chance de rentrer rapidement dans un milieu professionnel. Si j'ai pu être frustré d'avoir commencé tardivement, je me suis aperçu que c'était un avantage, j'avais une vision plus large et surtout plus précise des raisons pour lesquelles je dansais.
Sur scène
On est comme dédoublé, à la fois à l'extérieur, en soi, hors de soi. Je ne suis pas le même, on ne reste jamais soi-même ; quand je vois la même personne sur scène et dans sa loge, c'est qu'il y a quelque chose qui ne va pas. Cela reste mystérieux, ce qu'on ressent ne correspond pas toujours à ce qui passe ou ne passe pas la rampe. Mais je peux vivre ce même type d'émotion quand je cherche dans mon studio.
Le travail du catalyseur
Ce travail ne commence pas au moment où je pénètre dans le studio. C'est une recherche permanente, un choix de vie, une mission, un travail sur soi, des rencontres avec des gens qui ont la même vision de la vie et qui se retrouvent pour partager un état et faire surgir une matière pour l'offrir au spectateur.
C'est un travail sur l'intuition, un effort pour fuir les mécanismes quotidiens et faire apparaître quelque chose qui relève de l'invisible pour lui donner une forme visible. Travailler, c'est essayer de lâcher ce qui nous rassure, nos protections, travailler, c'est plonger. Je dis souvent que ce n'est pas moi qui crée, que je ne suis qu'un catalyseur. Je me fais traverser pas quelque chose et la forme arrive, on cherche à rendre visible quelque chose qui existe et qui n'a pas encore une forme. Travailler, c'est renifler, c'est s'ouvrir pour devenir perceptible à ce qui se passe dans la ville, dans la foule, au présent. Le travail du danseur n'a de sens que s'il touche l'inconscient, que s'il fait surgir une mémoire du corps secrète. Je ne souhaite donc pas conserver mes danses, je lutte pour faire toujours autre chose. La notation ne note que la forme du mouvement, pas la danse d'un homme.
Un devoir social
Le contemporain, c'est l'aujourd'hui, c'est 1995. Et la danse a un devoir social ; le théâtre est un des derniers lieux où quelqu'un prend le temps de se rencontrer lui-même à travers un spectacle. C'est un moment de réflexion privilégié sur la façon d'être au présent. Hervé Guilbert disait très bien que « le chorégraphe est quelqu'un que la société semble payer pour racheter la mort de ses gestes ». Ainsi la société a besoin de l'artiste pour pouvoir se voir. Parce que l'artiste a la chance de pouvoir réfléchir et créer vingt-quatre heures sur vingt-quatre, il a le devoir de répondre à ce besoin social, d'avoir cette conscience du contemporain. Le spectateur doit pouvoir retrouver une part de sa propre histoire dans ce qu'il voit. Sinon c'est une danse qui offense l'Homme dans le spectateur.
Un catalyseur
Danseur, ce mot peut faire référence à différents univers : j'ai l'impression qu'en Italie il évoque souvent l'univers commercial de la télévision où danser signifie frimer, montrer une apparence extérieure. Il peut aussi provoquer une forme d'admiration devant le sacrifice, l'effort et le mode de vie que ce métier supposerait. Lorsque je dis que je suis « danseur contemporain », j'ai le sentiment que les gens ne comprennent pas vraiment ce que cela veur dire.
Danseur-chorégraphe
Depuis quelques années, je ne dis plus que je suis « danseur » mais « chorégraphe », même si je danse dans mes chorégraphies. Cela m'est nécessaire : quand je ne l'ai pas fait, je me suis senti comme un voyeur qui ne pouvait partager l'énergie du spectacle. Réduit à n'être qu'un œil extérieur, je m'enfermais de plus en plus dans un rôle de maître qui ne me convenait pas. Lorsque je sais que je vais danser, je peux aller facilement de l'extérieur à l'intérieur même si j'ai passé deux mois sur trois à regarder.
Devenir
En mûrissant, je perçois ce métier de façon plus globale et moins auto-centrée : en effet, un jeune danseur a encore beaucoup à se prouver à lui-même, il prend ensuite conscience que le travail d'interprète est d'être au service d'un spectacle. Plus jeune, le défi virtuose m'intéressait et j'appréciais une danse en me projetant d'abord sur le danseur, maintenant cela m'indiffère. Le mouvement en soi n'a pas de sens, seule la source de son surgissement m'intéresse, son sens profond.
La danse évolue suivant le pourquoi et le comment du travail, elle est la conséquence de ce qu'on était hier ; ce qu'on danse aujourd'hui, on le devient demain.
La France et l'Italie
Je n'ai jamais décidé de m'installer en France, cela s'est fait par hasard, au gré de propositions de travail. En tant qu'Italien, je n'ai pas eu de difficultés particulières, mais en disant cela, je prends conscience que presque tous les membres de ma compagnie sont italiens ! Cela n'est pas volontaire et je peux bien évidemment travailler avec des Français, des Espagnols ou des Américains. Je travaille sur l'inconscient et la mémoire collective, chaque corps porte un bagage culturel, il est chargé différemment. Parce que mon travail relève d'une création collective à partir d'une matière humaine, il s'avère simplement qu'il m'est plus facile de communiquer avec des Italiens parce qu'on partage les mêmes références ou le même trésor d'images ou de sensations. Je cherche à toucher ce quelque chose d'invisible, ce non-dit qui va justement au-delà des frontières. C'est toute la tâche de l'interprète.
Paco Dècina : « Capter l'énergie et la modeler »
Vendredi 27 janvier, la maison de la culture d'Amiens propose une création du chorégraphe Paco Dècina : Ciro Esposito fu Vincenzo. Rencontre avec le créateur.
Courrier Picard : Etes-vous venu à la chorégraphie au terme d'un parcours « classique »?
Paco Dècina : Enfant, j'étais fasciné par le dessin et la peinture mais mes parents y ont mis un veto et j'ai suivi des études classiques, normales : lycée, université.
Jusqu'à 16 ans, j'ai essayé de peindre en autodidacte, mais c'était trop difficile. Alors à l'université, j'ai fait du théâtre, j'ai joué, écrit. Quelque part, je cherchais à remplacer les arts plastiques.
Parallèlement, j'ai toujours fait beaucoup de sport. Mais vers 20 ans, j'avais cessé. Plus tard, je voulais reprendre une activité physique et une copine m'a donné l'idée de suivre un cours de danse. C'était de la danse afro-cubaine et, dès le premier cours, j'ai eu une espèce de flash. Comme si toutes mes expériences, mes recherches artistiques se cristallisaient. J'y ai tout retrouvé : la peinture, le théâtre, la musique, la poésie…
C.P. Vous n'aviez jamais songé à la danse auparavant ?
P.D. Non, je connaissais la danse classique, les ballets d'opéra où j'étais allé avec ma grand-mère mais cette forme de danse ne m'avait jamais attiré.
C.P. Venir tard à la danse, est-ce un handicap ou un avantage ?
P.D. Au début, j'ai ressenti une petite frustration mais en fait, découvrir la danse à l'âge adulte m'en a donné une vision plus large. J'y ai trouvé un moyen d'expression qui me convenait, j'y ai retrouvé quelque chose qui m'attirait dans la peinture. Une expression très directe, qui échappe au filtre de la parole, du texte.
C.P. Comment et pourquoi êtes-vous venu en France ?
P.D. J'y suis venu faire un stage avec des amis. J'ai eu l'opportunité de venir à Paris, d'y rester plusieurs mois… qui se sont transformés en années. Il est plus facile de devenir chorégraphe en France. L'Italie et la France ont connu le même boum dans les années 80 mais, dans mon pays, cela s'est tout de suite arrêté. C'est une question de structures théâtrales, il n'y a pas de subventions pour la danse, mais seulement pour la prose. Il n'y a pas de ministère de la culture mais un ministère des sports, du spectacle et du tourisme.
C.P. Quand avez-vous créé votre compagnie ?
P.D. Je suis arrivé à Paris en 1984 et j'ai formé ma compagnie en 1987. En 1990, comme mon travail a changé, les danseurs aussi. Mais actuellement, je retravaille avec une personne qui était dans le premier groupe.
C.P. Comment travaillez-vous une chorégraphie ?
P.D. Mon travail trouve son assise dans l'humain, l'inconscient collectif, le temps, la mort, tout ce que je nomme « l'invisible intime. » Le choix des interprètes est donc primordial. Mes danseurs ont la même vision de l'art que moi, la même philosophie de la vie.
Au début, je travaillais toujours avec une structure forte. J'avais besoin de me protéger. Mais au fur et à mesure que j'avance, j'essaie de l'évacuer. J'essaie de partir d'une page blanche. Quand je commence un travail, je cherche à créer entre moi et les danseurs un état qui puisse faire surgir de notre inconscient l'histoire qui va devenir le spectacle. Le travail permet d'aller découvrir au plus profond de chacun, dans la mémoire du corps, des éléments que l'on possède mais qui ne sont pas immédiatement accessibles.
Crée un spectacle, c'est capter l'énergie qui est autour de moi et modeler cette masse informe, rendre l'invisible visible.
Avoir une structure au départ est certes plus rassurant quant à la construction du spectacle. On se sent plus sûr de soi, on sait où l'on va mais cela devient vite un jeu de construction balisé par des savoir-faire.
C.P. Vos chorégraphies sont-elles marquées par votre première passion, la peinture ?
P.D. Beaucoup de gens me disent que mon travail est très pictural. Je pense que c'est parce qu'il induit, évoque, stimule quelque chose qui permet au spectateur d'avancer dans sa propre histoire. Dans mes chorégraphies, je veux laisser au spectateur un espace où il peut se glisser.
Un artiste, même s'il travaille aussi pour gagner sa vie est privilégié. Il a plus de temps à consacrer à « l'invisible ». Le secret de l'art, peinture, danse, théâtre…, ce secret magique, c'est qu'il nous ramène à nous. Une salle de spectacle ou un tableau sont des lieux spéciaux qui provoquent des moments de réflexion et de recueillement sur sa propre histoire. Ce sont des moments privilégiés dans cette Époque où l'on court partout, où on doit toujours être efficace, où l'on perd de plus en plus la possibilité de communiquer avec la part la plus intime de nous-mêmes.
Le chorégraphe napolitain signe sa cinquième création Vestigia di un corpo. Il l'a présentée en avant-première à Quimper au terme d'une résidence de deux mois offerte par la ville et l'Association du développement.
Panorama du Médecin : Le titre de votre pièce renvoie-t-il au sens de la chorégraphie ?
Paco Dècina : Oui. Dès le départ, j'ai voulu travailler sur la mémoire du corps. J'ai beaucoup lu sur ce thème, puisant dans la psychanalyse, dans la philosophie ou dans des textes scientifiques. à partir de ce que je lisais, j'ai essayé de comprendre le processus d'évolution, c'est un mouvement d'expansion qui se trouve à certains moments sclérosé, bloqué par la peur.
Ces blocages persistent et finissent par provoquer une rupture, un choc, un cataclysme libérateur. Nous vivons une période de blocage : aujourd'hui, l'énergie vitale se trouve atrophiée, brimée, la dimension de l'âme et du sacré n'existe plus. Ce spectacle est une tentative pour dire : regardez où nous sommes ! Vestigia di un corpo tente d'explorer, par tâtonnements, ce qui reste de notre intimité perdue.
On retrouve dans toutes vos pièces une sensibilité picturale, un goût pour l'image particulièrement soignée.
Ce rapport à l'image fait partie de moi, et ressort presque involontairement. Durant mon enfance, j'ai baigné dans un milieu où l'esthétique revêtait de l'importance. Avant d'aborder la danse, je voulais être peintre, ce n'est certainement pas innocent ! De toute façon, nous vivons une époque très visuelle, qui nous imprègne à des degrés divers.
Comment façonnez-vous vos personnages ? Vos interprètes ont-ils une part dans l'écriture de la chorégraphie ?
Je demande aux danseurs d'improviser, puis j'utilise et transforme la matière qu'ils me proposent. Je compose en fonction de mes interprètes, mais je tiens à rester le maître d'œuvre.
Vestigia di un corpo laisse peu de place à des grands enchaînements dansés. Le mouvement revêt une forme soit torturée, convulsive, soit très Épurée, angélique. Est-ce un choix de votre part ?
Tout mouvement à priori peut être de la danse, l'immobilité comprise. La danse que je recherche est nourrie de l'intérieur, découle comme une évidence de l'univers suggéré. Partir d'une écriture trop codifiés, c'est risquer de tomber dans un système, dans un savoir-faire, au détriment de la nécessité du mouvement.
Avez-vous l'intention de demeurer en France ?
Oui, je n'imagine plus vivre ailleurs. Malgré les difficultés, Paris offre un brassage culturel très stimulant !
Les Français disent de lui, c'est un De Filippo dansant ; aujourd'hui, Paco Dècina s'explique sur sa technique et procède à des auditions pour un spectacle.
Chorégraphe Émergent, napolitain mais français d'adoption, Paco Dècina se produit depuis des années à Paris avec sa propre compagnie ; il est à Bologne pour un stage (entamé dimanche pour se prolonger jusqu'à samedi). Sa manière de faire de la danse n'est pas assimilable à un courant ou à une technique préexistante. Sur ce sujet, sa confirmation est polie, mais ferme et résolue. Paco Dècina est un personnage captivant défini par la critique française comme « un jeune Eduardo De Filippo en version dansante ».
Vous vous reconnaissez dans cette définition ?
« Mes spectacles sont liés à mes origines parthénopéennes (napolitaines), à la mémoire collective, au social, même si par rapport au théâtre populaire du grand Eduardo la forme esthétique que j'obtiens en dansant est évidemment différente ».
Pourquoi avez-vous choisi Paris comme champ d'action ?
« Ce fut un hasard. En 1983, j'ai décidé de m'y installer pour Étudier. Après les études, des engagements de travail sont arrivés et je suis resté. Tout le monde sait que la France prône une politique culturelle extrêmement Élastique. C'est un champ d'action idéal pour les artistes qui sont soutenus à tous égards et surtout, respectés ».
Comment êtes-vous arrivé à la danse ?
« J'ai toujours nourri une grande passion pour la peinture, pour la scénographie, pour le théâtre en général. Puis est né l'amour de la danse qui, d'une certaine manière, résumait et englobait mes expériences précédentes. L'intérêt pour la chorégraphie provient du puissant désir de composer qui m'anime depuis toujours.
Vous avez déclaré un jour que « l'architecture du corps est quelque chose de très clair et compréhensible pour tous. C'est dans le champ artistique que tout se complique »...
« Cela signifie que pour un danseur l'obstacle le plus ardu à franchir est de comprendre ce qu'il veut exprimer et comment l'exprimer. Après la compréhension, commence le travail de traduction sur le corps à travers la danse. En d'autres termes, tout se complique dans le processus artistico-créatif parce qu'à travers la technique, que je considère comme le moyen d'expression, le vocabulaire commun de la danse, le travail d'assemblage des différents univers individuels et intérieurs commence ».
Préférez-vous travailler avec des danseurs italiens ou avec des danseurs étrangers ?
« Italiens, surtout aujourd'hui. Le motif est simple : il existe une compréhension liée à la terre, à la méditerrannéité. C'est l'histoire qui est en nous, le même héritage de traditions qui nous relie et qui nous rapproche le plus fortement ».
Projets futurs ?
« La prochaine étape pour ma compagnie sera la Belgique avec le spectacle présenté récemment au festival « Orient-Occident » de Rovereto : Vestigia di corpo. En outre, en prévision de la mise en scène d'un nouveau spectacle dont le titre sera Ciro Esposito o un'iconografia del possibile, j'organiserai une audition à Paris et une également ici à Bologne, à la fin du stage, précisément samedi à 13h30 au Centre Solaris ».
Panorama du Médecin : Si je considère votre parcours chorégraphique, je compte cinq pièces en quatre ans, dont deux en l'espace de neuf mois. C'est déjà beaucoup !
Paco Dècina : Mes premières pièces ne dépassent pas vingt minutes, ce sont plutôt des nuances. Je considère Tempi Morti comme ma première pièce conséquente. Circumvesuviana est la seconde.
Espacées d'un bref intervalle, ces deux pièces me semblent néanmoins très différentes.
Tempi Morti est une pièce assez lisse, plutôt légère, avec des personnages très typés. Dans Circumvesuviana, j'ai essayé de creuser davantage derrière les apparences. C'est une pièce plus difficile d'accès. Il m'intéressait de chercher la violence, le trouble, l'ambiguïté cachée sous un vernis policé. Trouver le point fragile d'équilibre, l'entre-deux.
Quel était votre point de départ ?
L'été dernier, j'ai commencé tout seul par cerner mon propos, étape la plus importante. J'avais envie de parler du sud de l'Italie et du Vésuve. La Circumvesuviana est un train de banlieue qui dessert tous les villages au pied du Vésuvio. à travers ce nom se trouvait la possibilité de tourner autour d'une image, d'un mirage. Car, pour beaucoup de Napolitains, le Vésuve fume encore. J'ai aussi voulu parler du mélange sacré-profane, très vivace en Italie. J'ai plongé dans l'imagerie naïve de mes anciens livres de catéchismes, j'ai voulu évoquer les madones, les ex-votos qui peuplent nos Églises, ce climat de dévotion exacerbée… Mais je ne prétends pas raconter l'histoire de Naples, la Circumvesuviana est un prétexte pour parler des hommes et des femmes.
Votre propos vise l'humain de façon générale et non géographique.
Oui, à travers les imaginations, une lenteur, une image du sacré et du profane propres aux gens du Sud, j'ai envie de parler de tout ce qui est plus impalpable et qui n'a pas de coordonnée géographique.
La pièce n'en reste pas moins imprégnée d'une chaleur tout italienne !
C'est évident, la chaleur et la lenteur font partie de mon métabolisme, et c'est ma première pièce dont le point de départ est l'Italie. Mais encore une fois, ce n'est que ma vision de Naples ! Finalement, nous vivons tous les mêmes choses, à des nuances près. Ce sont précisément ces nuances qui m'intéressent et constituent la vie. Pour découvrir et approfondir ces nuances subtiles, je préfère à l'utilisation de gros moyens la délicatesse et la discrétion. Elles permettent de toucher l'essence du propos.
Vos interprètes reflètent également ces qualités.
Oui, c'est comme le moment de la pièce où nous dénudons le théâtre, j'attends des danseurs qu'ils soient au plus près d'eux-mêmes, sans masque, qu'ils s'efforcent de vivre leur histoire et la transmettent sans interférences parasites. Cela exige une certaine maturité. Prenons un exemple bête. Si je me pique à une rose et grimace pour exprimer la douleur, il n'y a guère de surprise ! Mais si j'intériorise la sensation et la laisse traverser la peau sans rien surajouter, cela devient intéressant ! Je crois qu'il est important de conserver une certaine distance face aux choses, une forme de lucidité. Vivre intensément mais savoir où l'on se situe. Je tiens à dire que je suis très content de la compagnie ! Ils ont tous choisi sciemment de travailler avec moi, en dépit des difficultés Économiques, et possèdent un rapport adulte vis-à-vis du travail.
Vous semblez avoir une prédilection pour les objets ! Je pense aux cerceaux, aux escabeaux…
Les cerceaux figurent un Élément étranger à la pièce, insolite, que j'aime en tant que tel. Et puis l'image de trois femmes mûres jouant du cerceau me plaît bien. Il s'en dégage une sensualité qui contraste avec l'attitude Éthérée des madones. Les trois femmes oscillent entre profane et sacré. Quant aux escabeaux, ils font d'abord office de piédestal, dessinent des différences de niveau. Mais n'y voyez pas de signification métaphysique particulière !
Votre projet initial prévoyait-il la présence du chanteur ?
Absolument ! Il incarne une voix, une présence plus abstraite.
La femme me semble plus importante que les trois hommes…
Les trois femmes sont plus typées. J'ai formé les couples à partir d'elles. Les trois hommes demeurent plus indistincts, c'est vrai. Cela renvoie à l'image de la femme en Italie, très respectée sous des apparences machistes. C'est mon point de vue !
Vous travaillez en France depuis quatre ans. Est-ce un choix de votre part ?
Oui, tout est beaucoup plus facile : moyens financiers, structures d'accueil, public averti. L'Italie est encore loin derrière ! La France est un carrefour à la fois européen et latin, je m'y sens bien.
Votre expérience de danseur vous aide-t-elle ?
Pour construire son chemin, il faut posséder des bases solides, et pour pouvoir gommer la technique, il faut préalablement la connaître et la maîtriser. C'est comme en peinture : on ne s'improvise pas peintre abstrait !
N'est-il pas un peu lourd d'assumer le double rôle de chorégraphe-interprète ?
J'aimerais bien danser ailleurs et me consacrer exclusivement à mes chorégraphies. Pour l'instant, je n'ai pas tellement le choix, faute d'argent.
Vous semblez assez sûr de votre travail.
J'ai fait ce que je sentais et j'y crois. Je suis sûr de la pièce, mais il y a de petites nuances à modifier. Tout repose sur un équilibre très fragile. La pièce va trouver sa vraie couleur au contact du public.