Paco Dècina : A un certain point de ma recherche j'ai laissé tout ce qui était psychologique et affectif… Je les ai laissé tomber pour laisser vraiment à la Danse et au corps un espace plus libre.
Plus libre des toutes les certitudes que nous nous construisons, les certitudes de ce qui est juste, de ce qui n'est pas juste, je voudrais faire cela, je ne voudrais pas faire cela, cela je le ressens, cela je ne le ressens pas… Toujours tenir ces limites du corps comme la peau, toujours les tenir solides et resserrées au tour d'un terrain connu.
Pour moi dans n'importe quel travail la tentative est d'ouvrir, de pousser cette peau toujours plus loin.
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Le vrai travail de fond, de base de l'interprète et de moi en tant que chorégraphe est en rapport au mouvement. Donc flux de la Vie, toujours en mutation, toujours en transformation, dans le sens que le mouvement ce n'est pas l'espace parcouru mais l'espace en train de se parcourir.
Pendant et au fur et à mesure que le mouvement se déploie à chaque instant, il crée un nouvel espace. C'est ça le mouvement et ce n'est donc pas la mémoire de l'espace parcouru.
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Que ce qu'il y a en nous, dans notre organisation, que face à un jugement, à une sensation on se referme. Au lieu de s'ouvrir on se referme. Tout cela au niveau corporel, de l'articulation, musculaire. Qu'est-ce que provoque tout cela ? C'est un mouvement volontaire, soudainement au lieu de s'abandonner, comme l'eau, de se fondre dans une trajectoire, une direction, une qualité, une densité de l'espace, on décide alors au contraire de tenir une ligne avec la volonté et donc un mouvement qui devient mécanique et non plus naturel. Cela depuis quelques années est véritablement le sens de mon travail.
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... Il faut que ce miroir soit propre, fidèle à la personne qui doive se refléter dedans et pour ce faire il faut une ouverture je crois, on ne peut pas aller vers un "adresser" quelque chose qu'on a prédéfini.
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Giulia Salvagni : Le corps en réalité il n'est rien, il n'existe pas ?
Il n'existe pas en n'étant qu'objet séparé, mais existe comme Élément du tout. Du tout veut dire que c'est nous avec notre totalité, nos émotions, nos sentiments, nos pensées, nos peurs, nos désirs, que nous somme inscrits et nous bougeons dans un ensemble qui est une société, ne communauté d'êtres humains, avec la nature, avec les plantes, avec la Science, avec les jeux vidéo, avec Tout. Tu comprends le corps pour moi est relation ce n'est pas qu'il n'existe pas, il n'existe pas en tant qu'objet séparé de toi, de lui, des autres, du monde.
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Giulia Salvagni : Et pour toi est-il possible d' imaginer un corps politique, si je te dis "existe-t-il un corps politique", si je te dis "le corps est politique" que réponds-tu ?
Je pourrais te répondre avec plein des choses avec lesquelles je ne vais pas te répondre ici, que je ne dirais pas ici. On fait tous de la danse et il y a plein des danses différentes… et je ne veux absolument pas être …
De toute façon, bien sûr que le corps est politique, on le voit très bien dans la danse, il y a beaucoup de danses fascistes, de danses de gauche, de danses libres, de danses pas libres …
Giulia Salvagni : Je ne te demande pas de citer des noms ...
Non je ne donnerai pas de noms, mais tout, tout est corps. Le corps est - entre guillemets - une invention, rien d'autre que le résultat de la mémoire collective, donc d'où tu es, à quelle culture tu appartiens, dans quelle société politique tu vis ...
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Giulia Salvagni :Quel rapport as-tu avec les agents italiens ?
En réalité je ne les connais pas vraiment. Je n'en ai rencontré que quelques uns, mais c'étaient des expériences trop courtes pour pouvoir en parler véritablement. Aussi car le rôle des agents en Italie c'est un rôle problématique, car en Italie il y a très peu de diffusion pour la danse. Il n'y a pas beaucoup de marché alors qu'ici, en France, un agent a un vrai terrain, une vraie possibilité d'expression. Parfois ils sont aussi programmateurs de danse dans les théâtres ou ils s'occupent de différentes compagnie. Ils ont une véritable matière pour expliciter leur travail. En Italie j'ai plutôt l'impression qu'un agent est quelqu'un qui vend les spectacles et qui les place. Il n'y a pas du tout le terrain pour avoir une politique qui pourrait soutenir véritablement le discours artistique.
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Comprendre qu'au travers de la Danse, en réalité, on travaille autre chose. On travaille l'histoire de l'homme, les conflits entre les personnes, les choses qui nous rapprochent, les choses qui nous Éloignent, il y a une idée. Au travers de la Danse tu défends une certaine façon d'être au monde. C'est cela qui est important pour moi