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Ombre in rosso antico

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"Ombre in rosso antico"
Fabienne Arvers, La Croix, Vendredi 30 mars 1990

Paco Dècina a le goût des particularismes. Découvert en 1987, son spectacle, « Circumevesuviana » contait avec décontraction l'histoire d'un petit train qui court au pied du Vésuve. « Ombre in rosso antico » désigne d'emblée l'objet de son inspiration : le porphyre rouge ancien utilisé dans la Rome impériale, dont les artistes de la Renaissance firent leur pierre idéale. L'emprisonnement des formes, la codification gestuelle – propres à la sculpture antique – rejoignent ici un propos chorégraphique sans concessions.Cette danse, fondée sur une série de ruptures, narratives et formelles, génère une variété de climats et d'images, où l'humour et la gravité traduisent bien l'intention du chorégraphe de s'attacher au « quotidien à l'anonyme écrasés, oubliés sous le marbre et la pierre ». Les nombreuses versions de " Besame mucho" – bande son de Palix-Couturier – se font avec humour l'écho de ces voix anonymes…

Fabienne Arvers
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"Le rouge du porphyre"
Irène Filiberti, Révolution, 16 mars - 22 mars 1990

Une esthétique d'autant plus sensible qu'elle reste proche de la vie quotidienne.

Chorégraphe né à Naples, établi à Paris, Paco Dècina s'était déjà fait connaître par ses précédentes pièces : "Tempi morti" (1987) et "Circumvesuviana" (1988).

Avec cette récente création "Ombre in rosso antico", la compagnie baptisée non sans humour "Post-retroguardia", aborde un travail plastique très fouillé et rigoureux, magnifiquement servi par les qualités d'interprétation des danseurs. Ici pas de nivellement au service d'une écriture mais une scénographie judicieuse qui joue sur une construction architecturale de l'espace.

Temps immobile
La mémoire, préoccupation récurrente en danse, Paco Dècina l'interroge à sa manière en passant par la fascination que le marbre exerce sur l'homme. (Le porphyre "rouge ancien"). Des panneaux de hauteurs inégales et un escalier central le posent en décor mais Paco Dècina s'attache surtout à rappeler le quotidien des êtres "anonymes légers" qui habitent ces pierres sculptées, qui l'ont travaillé ou le côtoient au jour le jour sans même parfois le voir. Ce sont donc des personnes très singulières, riches d'une histoire sans références fixes, ni chronologie, qui développent désirs, tendresse, passion au rythme de mouvements variés.
Le temps immobile installe un climat très latin. Des lumières douces, des poses alanguies où les femmes se coulent lentement rappellent les peintures de la Renaissance italienne. Ce temps immuable est mis en contraste par les périodes plus agitées qui le traverse. Ces mouvements accélérés, aux Époques plus tragiques évoquent la guerre, l'absence ou la solitude tout comme cet homme aux gestes saccadés, rivé à son dérisoire bouquet de fleurs.

Moindre détail
Énergie retenue puis lâchée, les hommes se croisent, s'accompagnent sans trop se reconnaître. Demi-pointes de pantomime, comique de péplum, tours arrachés d'horloge, les gestes se raidissent, tressaillent. Sourire en coin, gorges déployées, les bras se tendent vers la chevauchée de fantaisie qui tourne à la grimace, au balancement de gondole. La chorégraphie inclut jusqu'au moindre détail, l'expression des visages, d'un regard, jusqu'au pouce qui dessine des entailles. Les musiques de Bellini sont coupées de chansonnettes sud-américaines (Besame mucho). Aux références picturales s'ajoutent celles d'images plus récentes de la grande période du cinéma italien.
Danseuse longiligne, Regina Martino – elle a en outre dessiné les superbes costumes de la pièce – semble tout droit sortie d'un tableau de Modigliani. Elle a le charme étrange d'une Anna Zborowska. Sans oublier Andrea Ballaglia, Carlo Diaconale, Donate d'Urso, Claire Rousier et Sophie Lessard qui ont tous un regard intérieur retenu par qui sait quel rêve, qui renforce leur personnalité et les entoure d'un halo poétique.

Irène Filiberti
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"Ombre in rosso antico de Paco Dècina"
Chantal Langeard, Les Saisons Nouvelles de la Danse, 15 décembre 1989

Centre de production chorégraphique d'Orléans

Paco Dècina est décidément un chorégraphe dont chaque pièce reste en mémoire. "Circumvesuviana" nous avait entraîné irrésistiblement dans le tourbillon intrépide et sensuel de sa cité napolitaine. "Ombre in Rosso Antico", son dernier spectacle fait référence dans son titre au Porphyre Rouge ancien : les anciens prêtaient volontiers à cette pierre extrêmement dure des vertus magiques et conjuratoires, tandis que les sculpteurs en avaient fait leur matériau de prédilection. Le chorégraphe, lui, s'est attaché aux frémissements des êtres avant qu'ils ne soient glacés dans le marbre. La beauté du décor donne d'emblée une très forte empreinte plastique à ce qu'il convient davantage d'appeler un spectacle qu'une pièce chorégraphique ; en effet les lumières, complices d'une gestuelle souvent lente et hiératique, entraînant rapidement ers une émotion picturale à laquelle on cède volontiers. Parmi cinq panneaux grèges évoquant la pierre noble et un monumental escalier sans but, les danseurs évoluent, souvent isolés dans leur monde intérieur, tels des acteurs tournant un bout d'essai dans une quelconque Cinecitta intégrant diverses recommandations : "Piu veloce", "meno triste", "piu amorosa" etc… Mais le difficile pari de la retranscription d'une émotion ainsi morcelée, est tenu haut la main, grâce à d'excellents interprètes comme Sophie Lessard, et tout le reste de la troupe. Regina Martino ne se contente pas d'être interprète puisqu'elle est aussi auteur des très beaux costumes : point de justaucorps androgynes chez Paco, ni de devise "cacher ce sein que je ne saurais voir !" Toutes superbement embustées, ses danseuses ne nous laissent pas… de marbre : ce détail parmi d'autres, évoque mes yeux un chorégraphe qui a un sens plastique très sûr et baigne également ses chorégraphies de sensualité et d'humour.

Mais la belle et talentueuse Regina n'est en point à son coup d'essai puisque nous avions déjà admiré les costumes créés pour Luisa Casiraghi dans "Giu, non c'e piu nessuno" présenté à Bagnolet.

La bande son, elle aussi, joue fort bien son rôle de catalyseur émotionnel ; comment résister à "una furtiva lacrima" ou "love me for ever" ? Parfois aussi, elle sait n'être qu'un appui discret à une phrase chorégraphique suffisamment construite et à une gestuelle qui est comme un flux vital : le geste du pouce remontant du creux de la paume jusqu'au bras est très fort et assez représentatif de l'originalité du chorégraphe qui a baptisé avec humour sa compagnie " Post-retroguardia " afin d'échapper à toute vélocité de classification par chapelle. Mais tout le bien que nous pensons du chorégraphe Dècina ne nous empêche pas d'apprécier la présence et l'intensité dramatique du danseur Paco… que nous espérons bien revoir dans ses prochaines créations.

Séduction et intelligence me semblent être les caractéristiques essentielles (très italiennes finalement…) de ce jeune chorégraphe. Il ne me paraît pas improbable qu'il ne devienne à la chorégraphie européenne ce que fut au septième art le cinéma italien des années 60 : une valeur incontournable.

Chantal Langeard
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"Ombres et lumière de Paco Dècina"
Philippe Huguenin, La Nouvelle République, mercredi 25 octobre 1989

La Compagnie Post-Retroguardia de Paco Dècina s'est installée au Centre de production chorégraphique d'Orléans, le temps d'une création. Cela nous vaut, pour quelques soirs, sur la scène de l'Hexagone, son spectacle qui scintille de mille feux, aussi beau que son titre.
"Ombre in Rosso Antico" en fera rêver plus d'un et captivera les autres, comme ce Porphyre Rouge Ancien qui emprisonne des profils, des seins et des anges, et qui fascine le chorégraphe et danseur napolitain Paco Dècina.
Non pas que cette création soit d'un abord facile, le propos n'est pas toujours très lisible et échappe à la logique qui habituellement rassure. Peu importe. Ce spectacle en tous points réussi, offre une suite d'images qui s'imposent par leur force et s'ancrent dans le souvenir. Dans un décor austère, dur et froid, à l'image du marbre qu'il est censé figurer, Paco Dècina ne raconte pas une histoire, mais nous offre par bribes des sensations ténues, des impressions légères et charnelles. Vestiges de la mémoire, souvenirs fragmentés. Il y a beaucoup d'émotions retenues sous l'apparente froideur. Paco Dècina dessine sur les grands marbres, devant un escalier qui monte vers la nuit, des ombres quotidiennes. Le jeu de la mémoire auquel il se livre est fait d'amours déçues, de séduction, d'attente et de désirs, d'indifférence aussi. Son spectacle est habité, intense, il a ce qu'il faut de souffle et d'âme, sans effets faciles ni grandiloquence. Il faut applaudir les danseurs qui entourent Paco Dècina. à leurs qualités techniques s'ajoute cette force d'expression dramatique qui rend sensible la moindre émotion.
Paco Dècina joue avec la musique, la lumière et les corps. L'ouverture de Norma, hachée menue et répétée à l'envi, offre un support efficace au mouvement. Paradoxalement, la lumière est peut-être ce qu'il y a de moins convaincant dans ce spectacle d'ombres. IL faut saisir chaque instant de cette création dense et brève. Le temps passe trop vite, et ici plus qu'ailleurs. Seuls les marbres, les grands marbres, ont le temps pour eux. Tous les poètes le savent Paco Dècina l'a compris.

Philippe Huguenin
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