« Circumvesuviana », une chorégraphie de Paco Dècina Le style Pina Bausch à la napolitaine
ROME. C'est tellement rare de rencontrer un nouveau, vrai chorégraphe, que – quand cela arrive – on aurait vraiment envie de hurler, de fêter, de tirer des tresses de pétards. Tresses de pétards spécialement pertinentes, du reste, à partir du moment où ce chorégraphe – Paco Dècina – est un vrai napolitain et son spectacle, au Trianon, s'intitule Circumvesuviana.
En Italie, Dècina avait dansé avec Vittorio Biagi. Puis il est parti à Paris où il a fondé son propre groupe et où il est rapidement devenu célèbre, dans le milieu de la danse contemporaine, notamment après avoir gagné le concours de chorégraphie « Ménagerie de verre ». Cinq autres danseurs travaillent avec lui, tous bons, aussi bien du point de vue technico-stylistique que du point de vue de l'intensité expressive.
Le spectacle de Paco Dècina se présente de prime abord comme une sorte de distanciation napolitaine de Pina Bausch : les six interprêtes revêtent des habits d'une absolue, normale quotidienneté bourgeoise ; mais ils ont les pieds nus et des comportements métaphysiques ou surréels. Ce qui, en soi, créé déjà une merveilleuse atmosphère d'ambiguïté et de tension. Puis la vraie originalité, sans doute très napolitaine, de Paco Dècina se fait sentir : voici une « routine » - série de gestes et de pas répétés – inspirée par les lieux communs de la chanson napolitaine et de la gestuelle parthénopéenne (napolitaine) en général. Gestes et pas étant utilisés comme « objets trouvés » de façon plaisante et bizarre. Et puis encore, voici une série de danses brèves, qui ont une ou plusieurs échelles comme Élément portant. Chaque échelle est, on le présume, une montagne, un Vésuve, une aspiration, une envolée vers le ciel. Tous, hommes et femmes, ont une sorte de « sacré coeur » sur la poitrine, allusion patente à d'antiques et nouveaux rituels désormais sans aucun sens. Mais curieusement, au fur et à mesure que le spectacle se dénoue, fluide et rapide, on pense de moins en moins à Naples et de plus en plus à notre aventure quotidienne de la vie, entre rassurantes vocations traditionnelles et instincts déchaînés et destructeurs.
Parmi les interprètes, nous avons retrouvé avec satisfaction deux valeureux jeunes danseurs romains : Donata D'Urso, déjà collaboratrice de Marco Brega ; et Andrea Battaglia, élégant et très concentré, qui semble avoir suffisamment mûri durant les années de travail avec Dècina, après ses débuts avec Vittorio Biagi et Bob Curtis.
Paco Dècina avait déjà Émergé lors des précédentes rencontres comme un des talents les plus vifs et originaux. Il a confirmé, à l'occasion de cette rencontre annuelle « Dansa e dintorni », avoir acquis une maturité chorégraphique complète. Toutes les oeuvres de son répertoire partent de l'expérience, puis s'en détachent à la recherche d'une réalité métaphysique.
Même « Circumvesuviana » est un voyage symbolique autour des villages du Vésuve, mais l'auteur a spécifié : « il n'y aura pas de linge Étendu, ni de spaghetti » parce que la Naples des cartes postales touristiques ne l'intéresse pas et il ne veut pas nous la montrer. Sa volonté est plutôt de nous en restituer l'essence, à travers l'évocation et en restant constamment vigilant à ne pas tomber dans le banal. La ville de Naples est suggérée par des escaliers, des hula-hop qui tournent spirituellement sur une musique de Carosone, par des ex-voto fixÉs à la poitrine des danseurs.
La musique est basée sur une idée du corps en rapport harmonieux entre le sol et l'air.
Le public a acclamé le spectacle avec de nombreux rappels en scène. Peut-être Milan elle-même a-t-elle apprécié un talent que la France a déjà reconnu depuis longtemps.
Paco Dècina pour la première fois à Rome
Qu'est-ce que la « napolitanité » selon Paco Dècina ? Rien de trop prévisible : pas de mandoline, ni de linge Étendu, ni de polichinelle. Aucune couleur criarde, aucune carte postale. Naples, c'est autre chose : un Évènement mental, une théorie fantastique de signes. Mélancolie passionnée et engluante, envie de fuir ailleurs, au delà de l'ombre du Vésuve. Loin du piège d'une ceinture de chemin de fer, la Circumvesuviana, qui dessert tous les villages aux pieds du volcan.
Et là, dans ce tunnel sans soleil, sans l'éblouissement de la lumière méditerrannéenne, dans cette Circumvesuviana traduite dans la mémoire des rêves, la « napolitanité » est surtout un monde d'ombre constitué par les caresses savoureuses et brûlantes d'un corps secret et bavard, langages physiques nés de tant d'émotions, messages émis par une façon de marcher ou de courir, de s'asseoir ou de monter un escalier, de croiser les jambes ou de s'accroupir par terre.
Un réseau de signaux : rondes féminines qui tournoient légèrement, surgissements de garçons délurés et arrogants, un regard de femme comme une extase de la Madonne, le corps d'un homme suspendu en l'air sans soutien apparent, emblème mystérieux d'un Christ étrange en veste croisée, comme un fantasme saisi dans notre quotidien. C'est à partir de ces brèches rapides et fugaces, sans la moindre trace d'à peu près ou de rafistolage, que se compose le spectacle Circumvesuviana de Paco Dècina, qui est un jeune chorégraphe italien adopté avec succès par Paris. Accueilli au printemps dernier au Théâtre de la Bastille (qui l'a coproduit), déjà invité dans des manifestations européennes prestigieuses (l'Holland Festival, le Festival d'Arles), et aujourd'hui de passage pour la première fois à Rome (pour la revue de groupes italiens au Trianon), Circumvesuviana vit de clairs-obscurs et de nuances, sur la base d'une danse poétique et intimiste qui sait jouer sur les transparences, la précision et l'intensité des détails.
Orchestrant avec goût des mouvements jamais banals ni stéréotypés, Paco Dècina construit une dimension expressive qui lui est propre, dans laquelle il démontre avoir su imaginer avec un regard personnel aussi bien sur le théâtre-danse allemand que sur la plus « légère » nouvelle danse française. Le résultat est frais et captivant, scandé par un collage de musiques « populaires » toujours vivantes, très bien éclairé et interprêté avec une tendre conviction par les trois danseuses (serrées dans des petits costumes soyeux et fleuris des années 50) et les trois impétueux danseurs (en veste croisée sombre) : il s'agit de Donata D'Urso, Sophie Lessard, Claire Rousier, Andrea Battaglia, Carlo Diaconale, et Paco Dècina lui-même.
Chacun exhibe, exactement à la place du coeur, un ex-voto Épinglé : c'est un petit coeur rouge écarlate, une petite prière d'amour. Et dans la dernière scène, tourbillonnante, où les ex-voto voyagent d'une poitrine à l'autre dans une sinueuse tresse de sentiments figurés, ce mélo frémissant de nostalgie latine qui court à travers tout le spectacle, explose finalement explicite, formellement déclaré.
Cela avance fortement et bruyament, comme un petit train sur cette mauvaise ligne de chemin de fer qui, comme une vieille couronne, entoure de ses bras le coeur souverain de Naples.
Arles : « Circumvesuviana » est une danse torride qui vient du Sud. Cela doit se passer dans un temps lointain, qui s'est enfui comme un voleur de bicyclettes. Les trois femmes roulent des hula-hoops sur leurs belles hanches.Les hommes en costume sombre ne roulent que des mécaniques.On entend un épatant boogie-woogie péninsulaire : « Si voi far l'Americano mericano mericano… » qui rappelle l'époque où la botte italienne swinguait avec les rangers de ces libérateurs yankees. « Circumvesuviana », du nom du petit train qui ceinture le volcan de la baie de Naples, est une jolie chorégraphie de Paco Dècina. « Un prétexte pour parler des hommes et des femmes du Sud ». « Sans linge ni spaghetti », prévient le programme.
Ici, le Sud pend à un fil plus subtil. Bien sûr, les garçons ont la mèche calamistrée et l'œil des charbonneux, et les filles de sombres robes ouvertes en satin fermière. Mais la géographie se déboussole rapidement. On attend les mandolines, on tombe sur un paso doble Éraillé. On passe des contours du Vésuve aux remparts de Séville. Autre Sud, même langueur, même nostalgie. On croisera même les sanglots d'un violon tzigane.
La mise en scène elle-même brouille souvent les pas.Certains tableaux sont réglés comme un escadron de carabiniers : des dix danseurs, on ne veut voir qu'un corps. D'autres baignent dans une belle anarchie, indissociable de la Latinité. Un mystérieux personnage en frac traîne un tabouret. Un autre lâche une échelle. Une danseuse tourne à petites foulées autour de la scène. Mais, on le sait, comme le silence est musical, le désordre est chorégraphique.
POLVERIGI – A Naples à la Porta Capuana, il y a un horloger. A l'intérieur, les machines du temps scandent les minutes et de vieux balanciers oscillent dans un mouvement perpétuel. « Circumvesuviana », le spectacle de Paco Dècina semble être sorti de cette boutique d'artisan ; flegmatique, moelleux, latin, avec un déroulement qui vous met en haleine et des gestes abstraits qui se succèdent, séparés, dans une composition musicale Élargie à tout. Mémoires d'un Sud Africain, parthénopéen, sicilien qui danse entre une image et un mirage, les équilibres nés du ventre latin.
Esthétique, languissant, animé d'une énergie passive cachée qui palpite comme dans le rythme de certaines danses derviches, « Circumvesuviana » propose une forme reconnaissable. Les mouvements des danseurs se soustraient au caractère, leurs regards sont désenchantés, impénétrables, presque absents. Trois femmes et trois hommes dansent sur un rythme syncopé, une action succède à l'autre sans variation d'intensité, mais, de scène en scène, les mouvements acquièrent quelque Élément « allotrope », qui semble venir de très loin.
Une composition précise apparaît, qui fait perdre les traces visuelles et temporelles du début, condense les émotions, séduit, inattendue, dans l'espace d'un temps dilaté.
Les femmes esquissent des « rappels » ; une danseuse s'assied sur un escalier, évoquant ironiquement l'adoration de la Madone, deux autres acteurs à terre la regardent béatement : mais ce pourrait être aussi une putain, un fille de rue ou de certains lieux enfouis sous les roches aux pieds du Vésuve.
Les hommes, souvent en groupe et séparés se meuvent avec une séduction imperceptible. Tout se déroule sans que rien de nouveau ne se produise.
Mais cet ennui apparent est précisément la clé de lecture du spectacle, qui utilise des codes expressifs presque stéréotypés, qui se logent à l'intérieur de gestes quotidiens, fluides et reconnaissables. L'expression des visages est réduite au minimum, la danse est patrone de la scène, l'intimité s'écoule doucement sur toute la chorégraphie de Dècina.
Une caractéristique méridionale marque toute la scène : c'est un coeur ex-voto que les six danseurs portent sur la poitrine et qu'ils lacèrent à la fin sur un escalier d'acier.
Avec Paco Dècina, Andrea Battaglia, Donata D'Urso, Sophie Lessard, Claire Rousier, Carlo Diaconale et Camille Le Prince, qui ont dansé sur la musique de Carosone, Tagliaferri, Toshi et des ... Doors.
Circumvesuviana de Paco Dècina
Paco Dècina, un nom qui monte ! Après une première chorégraphie pour le concours de Paris en 1985, un premier prix à la Ménagerie de Verre en juin 1987 (remplaçant le concours de Bagnolet), le public retrouve pour la cinquième fois cet Italien d'une trentaine d'années, qui puise volontiers son inspiration dans son enfance napolitaine. Sa dernière pièce, "Circumvesuviana", créée à Ivry fin février, s'inspire des femmes de l'Italie du Sud. Machiste, Paco Dècina ? Non, plutôt réaliste, avec une bonne portion d'humour, des souvenirs musicaux des années soixante, et un penchant pour les costumes de ville soulignant la différence des sexes.
aco Dècina avait la vision d'une madone suspendue en hauteur. L'Adoration de Marie (Sophie Lessard) s'installe ironiquement : elle apporte une échelle métallique, y monte et s'assied. Donata d'Urso et Claire Rousier, par terre, la regardent béatement. Elles nous ont déjà fait sourire par leur déhanchement sexy. Car l'image de ces femmes hésite entre la madone et la putain, sous le regard des hommes.
Pendant trois quarts d'heure, Paco Dècina fait évoluer les trois femmes et les trois hommes en groupes séparés. Ce n'est qu'à la fin que les couples se forment : chacun enlève son badge rouge (un cœur ressemblant à celui de la Société de Jésus) pour le coller sur une des six échelles apportes par les danseurs.
La gestuelle est abstraite, les mouvements saccadés et anguleux, exÉcutés sur un montage musical varié. Une mention spéciale pour les lumières de Dominique Mabileau, qui colore le sol en rose et les échelles en bleu : et ose même nous mettre dans les yeux pleins d'étoiles au-dessus du plateau. à tomber à la renverse.
Lorsque la pièce démarre, on se dit qu'il suffira peut-être d'inventorier une succession d'actions pour résumer le spectacle. On pense que cet Énergique mouvement d'ensemble qui inaugure l'espace v signer trop vite une pièce qui ne ferait que délayer ses principaux atouts. C'est oublier que Paco Dècina est italien de corps et d'âme, que ses danseuses ont le regard de braise et pratiquent l'art de se faire désirer, que ses danseurs ont la paupière de velours et le déhanchement prometteur et que, malgré cela, il n'hésitera pas, afin de "chauffer" la salle, à disposer tout autour de la scène des rampes chauffantes à infrarouge : Vésuve oblige.
Force est de constater qu'après une première scène d'exposition très chorégraphique, finement écrite, il devient impossible de repérer avec précision des changements conséquents dans la gestuelle. L'univers est installé, les codes définis ; pour la plupart, ces gestes sont connus, les formes proposées reconnaissables et ce n'est que dans leur subtile composition, dans leur arrangement singulier que naîtra une poésie subreptice.
Quelques obliques ça et là, quelques tours de force physique et quelques trucs d'acteurs viennent ensoleiller une ambiance générale passionnée mais languissante, détendue mais palpitante. Tandis qu'une femme court en cercle, les bras agités épisodiquement par un sursaut, un homme repose à la verticale sur le faîte d'une échelle, en équilibre sur le ventre, et un couple s'enlace. Plus tard, les trois femmes onduleront du bassin dans un concours de hula-hoop derrière un trio-macho d'hommes de plus bel effet. Ailleurs encore, une femme est perchée sur une échelle et des hommes, inexorablement, traversent le plateau d'un air dégagé.
La danse de Paco Dècina demande une présence scènique considérable que tous les interprètes n'ont pas encore. On sent néanmoins que les relations humaines de l'équipe des danseurs ont su trouver un point d'ancrage juste à l'intérieur de cette atmosphère parfois mélo, souvent ironique, mais jamais cruelle. La braise des regards semble nourrie par la tendresse, celle du chorégraphe pour ses danseurs, celle des danseurs pour leurs compatriotes et pour le public aussi. Alors ils peuvent montrer leur cœur, battre des cils, jouer de la fossette, la sincérité l'emporte sur le cliché et rien n'a plus de charme que cette ballade autour du Vésuve accompagnée par les mélopées suaves d'un chanteur de bel canto désopilant. Mais cette danse aux allures évidentes cache parfois de sombres et profonds accents.
à l'image de la composition qui s'étale, fait perdre les repères visuels et temporels, frôle l'ennui puis rattrape le regard par une condensation soudaine d'émotion, la danse suit ce rythme syncopé, s'installe dans une proposition, l'épuise et passe à la suivante sans variation d'intensité. Drainés de façon souterraine, les moments poétiques font alors surface avec assurance, comme s'ils étaient attendus depuis longtemps, dénonçant les actions précédentes comme de possibles fausses pistes.
Il suffira qu'un homme incline les unes sur les autres des échelles en équilibre pour que prenne fin ce que l'on n'a jamais vraiment vu commencer : Circumvesuviana.