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Mare rubato

Articles

"Méditation pour sept danseurs"
Laurence Liban, Le Parisien, jeudi 23 mai 1996

DANSE – Paco Dècina au Théâtre de la Ville

Napolitain d'origine, Paco Dècina poursuit sa quête méditerranéenne toute en suggestions, en gestes ébauchés. Avec Mare Rubato, il développe, dans une atmosphère gris acier, une méditation pour sept danseurs vêtus aux couleurs du sol : safran, ocre, terre brûlée.

Cela commence comme un souvenir de tragédie, souvenir très lointain dont il ne reste que des gestes lents d'imploration, des courbures, des portés pesant leurs poids de chair. Parfois un miroir manipulé sous le soleil fait naître sur le mur des ombres de visages disparus. On est dans l'élégie, dans les eaux douces d'une musique mêlant les chants araméens aux flux d'une mer imaginaire et dure.

Ensuite, viendront les grincements inamicaux pliant le mouvement sous leur loi, lui imposant des élans, une rapidité fugitive. Sous le ciel devenu bleu, une jeune fille joue du violon, une autre danse doucement. C'est la fin. Pièce hypnotique faite de beauté et de symboles, Mare rubato est une œuvre d'apaisement un peu douloureux. On peut lui reprocher un côté « interlude », ce moment de belles images diffusées entre deux Émissions dans l'ORTF de notre enfance.

On peut aussi s'y laisser prendre et joindre à la vision de chorégraphe notre propre univers intérieur. Alors tout est bel et bien.

Laurence Liban
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"Mare rubato : riche de beauté de souffrances et d'espoir"
Joëlle Acoulon, Le Courrier picard, mardi 9 avril 1996

En danse contemporaine, art d'émotions, le travail du chorégraphe relève souvent de la gageure. Il doit, tout en conservant la cohésion de son dessein, proposer au spectateur un univers où ce dernier puisse inscrire sa propre histoire.
Déjà, de ce point de vue, Mare rubato de Paco Dècina est une réussite splendide. Quête de ce que le monde moderne nous dérobe et que seule une archéologie de la vie intérieure peut nous restituer. Mare Rubato utilise les corps des danseurs comme vecteurs d'émotions. Désert blanc parfois terni, taché par la suie des actions humaines, le décor, superbe de sobriété, s'anime sous les lumières.
Danse et peinture relèvent tous deux du « ressentir », ils se rejoignent ici. Qualité des mouvements, des éclairages, beauté des costumes confèrent au spectacle une magie évocatoire d'une grande force.
On pense au buto, aux fresques préhistoriques, aux temples indiens… Même absente, la mer offre toute la richesse de sa symbolique.
La « mer dérobée » est présente dans la bande son qui souffle, roule les vagues et les galets.
Parfois très minérale, la musique s'humanise des inflexions de la voix d'Esther Lamandier. Plein de la douceur grave des gestes qui traduisent une souffrance qui s'étire à l'infini à force d'être intériorisée, Mare rubato s'achève sur la luminosité bleue de l'espoir.
Un spectacle cathartique qui se love dans la mémoire et rappelle que dignité et être humain peuvent coexister.

Joëlle Acoulon
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"PACO DECINA - L'épure des mythes qui ont baigné son enfance"
Jean-Marc Adolphe, Programme du Théâtre de la Ville, avril 1996

La danse est aussi un art du regard

Napolitain d'origine, Paco Dècina a choisi la France pour développer un travail chorégraphique sensible et esthétique (dans le meilleur sens du terme). Tempi Morti, Ombre in Rosso Antico, puis Vestigia di un corpo font successivement connaître l'écriture délicatement posée de Paco Dècina, imprégnée e références picturales, de musiques du Sud, où affleure un désir latent sous l'écorce des images. Avec Paco Dècina, on peut sans crainte affirmer que la danse, si elle est un art du corps, est aussi un art du regard. Et en des temps, peut-être de trop grande visibilité, le chorégraphe choisit la pénombre rafraîchissante, il explore la chambre noire de l'être et, sans rien obscurcir de son propos, il met au jour des replis de mémoire, déshabille l'empreinte de la mort pour toucher des zones de sensation au plus profond des consciences. Cette singulière œuvre au noir vient éveiller de « petites blessures de l'invisible », en donnant l'étrange consistance d'un « temps suspendu, où le vide semble prendre la place des corps lointains dont l'histoire est perdue ».

La rumeur recueillie des corps tient lieu de lyrisme

Il s'agit, pour Paco Dècina, d'une iconographie du possible. L'esthétique qui gagne la danse cesse alors d'être un effet pour s'affirmer comme vision artistique. Avec Ciro Esposito fu Vicenzo, Paco Dècina réussit sans doute l'une des plus belles chorégraphies de ces dernières années, en composant une sorte d'opéra où la rumeur recueillie des corps tient lieu de lyrisme, où la nudité portée telle une offrande s'imprime comme un indélébile acte de chaleur humaine. Dans l'entrelacs de la vision et du mouvement, Paco Dècina excelle à peindre le lamento des corps enfouis. Il tisse la mémoire des temps insoupçonnés qui veillent dans toute forme de présence au monde. D'une retenue toute en nuances, il vit la danse comme un recueillement actif des lentes sécrétions de l'existence.

Sérénité et détachement, Mare Rubato

Méditerranéen par essence, Paco Dècina entreprend avec Mare Rubato l'épure d'une lumière, des couleurs, des mythes qui ont baigné son enfance. La Méditerranée appelle-t-elle son déluge de passions criardes, de dieux colériques, de douleurs tragiques ? Paco Dècina y oppose la douceur contemplative des horizons fondus au bleu, le bruissement des silences pétris d'éternité, la sourde prégnance des crépuscules. Spectacle qui exhale sérénité et détachement, Mare Rubato évoque cependant pour le chorégraphe une mer volée, arrachée, perdue. Nostalgie d'une civilisation fondatrice, aujourd'hui réduite à un folklore excentrique, rivage à l'abandon des mythes engloutis. Lointaine idée d'une mer qui devrait sa salaison à « la sueur de tous ceux qui y ont sombré », splendeur antique tombée en ruines et en cendres. Un instant, Paco Dècina convoque l'ombre de la Tragédie, figure errante, égarée, d'un passé statufié. Brève apparition initiale, sitôt renvoyée en coulisse : il n'y aura pas, dans Mare Rubato, de résurgence ou d'invocation d'un pathos usé, asservi aux « shows de réalité, dévoyé de sa fonction cathartique.

Faire frémir un espace avec présences, flottement d'êtres

Peinture hiératique d'un naufrage déjà naufragé, exempt de la violence qui saisit les corps en urgence. Ici la douleur n'a pas prise sur les chairs, mais circule, invisible comme une rumeur dont on doit tenir le secret. échappant aux genres dramatiques du masculin et du féminin (une typologique sur laquelle la danse fonde habituellement sa rhétorique), Paco Dècina se contente de faire frémir un espace avec présences, flottement d'êtres qui seraient l'ultime lien entre terre et ciel, absorbés dans la matière d'une composition mouvante.

Est-il encore possible de danser avec le poids du monde ?

Le solo d'une femme en sari rouge-orange encense le spectacle d'un rêve d'Orient, promesse d'une aube qui se lèverait sur des paysages recommencés, à nouveau fertilisés, alors que des tons ocre ou marron évoquent ailleurs l'infinitude du désert. Sur une musique de Schnittke, d'anciens héros déposent au sol d'inutiles vareuses grises, tandis qu'une danse toute minérale vient célébrer leur renoncement. Est-il encore possible de danser avec le poids du monde ? Atlas n'a plus la force de maintenir le globe en suspens. Dans un bref solo, Paco Dècina manie avec beaucoup de grâce et d'humour un poids de mesure avant de s'en défaire simplement. Il y a dans cette brève cérémonie de déposition le signe que les souffrances contemporaines doivent être portées avec dignité, qu'elles ne doivent pas Étouffer l'éclosion du geste, qu'il convient d'apprendre à s'en alléger pour que sourde, de l'infinie mémoire des corps, une sorte de virginité au sein de laquelle une lumière pourrait à nouveau s'inscrire.
En ce sens, Mare Rubato tient du spectacle initiatique. Pour Paco Dècina, la danse invite à un contre-espace : elle est l'étoffe à la fois humble et somptueuse qui préserve l'inviolabilité d'un mystère qui aurait survécu au naufrage de l'espace méditerranéen, espace d'enfance, vestige de matières.

Jean-Marc Adolphe
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"Fessure et Mare rubato, de Paco Dècina"
Irène Filiberti, L'Humanité, mercredi 31 janvier 1996

En favorisant la création, la danse contemporaine, dont la richesse des langages n'est plus à démontrer, a la particularité d'accueillir un certain nombre d'approches autodidactes. Parmi celles-ci, le travail de Paco Dècina s'affirme depuis quelque temps déjà. Napolitain d'origine, le chorégraphe est installé à Paris depuis maintenant une dizaine d'années. De premières pièces légères, colorées, figuratives ont marqué simplement ses dispositions à engager un travail sur le temps, la mémoire, le sentiment. La trace ludique des premiers pas vers la chorégraphie entraînera Paco Dècina vers la chute. Celle de " Charybde et Sylla", pièce de rupture dans le mode d'approche du travail et aussi pièce d'émergence d'où sont issus comme des écheveaux isolés et repris chacun des spectacles suivants.

Ce sera tout d'abord vestige d'un corps-travail remarquable qui introduit dans le cheminement du chorégraphe l'idée du morcellement du corps, sur les traces de l'inconscient collectif. Puis on assiste, avec l'enchaînement de ses trois derniers spectacles "Ciro Esposito fu Vincenzo", "Fessure" et sa dernière création qui vient d'être présentée à Châteauvallon, après une résidence au TNDI (Théâtre national de danse et de l'image), "Mare rubato", au développement d'une recherche portée vers une écriture de l'image.

Les danseurs de la compagnie se font ici les interprètes particuliers des "réalités subtiles" qui animent les pièces du chorégraphe et sont autant de rêveries tout droit issues de l'image mentale à l'origine de chacune des chorégraphies de Paco Dècina. Là viennent s'inscrire les corps comme matériaux de l'intime. Ils semblent aussi agir comme la pellicule sensible qui conduit et relèvent d'une recherche sur la perception de plus en plus Éloignée de la théâtralité et portée exclusivement par le geste et la posture. Dans "Fessure", les corps se délivrent par bribes de gestes. Nimbé de lumière, leur développement a trait à la chair. Il se produit dans la lenteur d'un mouvement fluide et continu. En parcourant la pulpe du sensible, le travail chorégraphique de Paco Dècina s'arrête sur les fissures, en suit les lignes, ces "petites blessures de l'invisible" où les corps se désagrègent.

"Mare rubato" baigne dans les vibrations du blanc et des éléments sonores qui évoquent la minéralité et la densité de l'eau. Avec cette dernière création Paco Dècina synthétise l'ensemble de ses préoccupations esthétiques en retraversant la plupart de ses pièces. La notion d'effacement conduit le chorégraphe vers l'abstraction mais quelque chose de sa vision se reconstruit implacablement. Dans le silence des gestes ou de la posture, la part de l'intime demeure étanche, se joue dans un univers clos. Cadre, couleur, motif, tout tend ici à l'œuvre picturale, à la naissance et la modification de tableaux. Il semble que l'œil du chorégraphe traque dans la vibration des éléments, à force d'attention, de contemplation, quelque chose de l'âme ou d'une matière universelle.

Irène Filiberti
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Mare rubato une sensation d'immensité" Louise Baron, La Marseillaise, 24 janvier 1996

à Châteauvallon
Le chorégraphe italien Paco Dècina exprime, par la densité de la lenteur et du mouvement, un trouble intérieur profond dans un très beau spectacle.
Dans l'espace nu, ouvert, une danseuse debout, immobile, une autre en longue tunique blanche, au sol, un homme en souple horizontale. Dès le début, une sensation de noble équilibre, de silence plastique qui, peu à peu, avec précision, s'anime, en lenteur expressive des mouvements, en offrande des bras.

Cette harmonie va se développer en évocations méditerranéennes, l'Italie, la Grèce, l'Orient de cette mer, dans ce spectacle de Paco Dècina dont la beauté scènique est toujours liée au développement de la danse et à une technique précise et raffinée.

La lenteur, danseurs développant, dans un souple équilibre, des figures qui tout à coup d'un revirement vif, nerveux, les lancent dans une expression de tout le corps, en sauts, en rencontres, en groupes. Avec, traversant la scène des élans, en course, en rupture…

Les légendes vivent sur scène, invocations des mains tendues, des appels. Des "portés" soulèvent directement la danseuse, prolongés, verticaux, horizontaux, en force Émouvant, profond, qui s'impliquent dans le mouvement général, dans le jeu des figures de nouveaux ralenties, à trois-quatre danseurs.

Et toujours cette Élévation, cette clarté qui donne aux corps toute leur fierté, dans une composition chorégraphique donnant à l'ensemble des parties cette plastique des artistes italiens de Piero della Francesca.

Paco exprime ainsi un mystère, quelque chose au-delà du visible, une impression de mer, d'eau de nuages, que souligne la bande sonore aux bruits d'ondes, de vagues et de vents.

C'est, dans la première partie, une sorte de recherche, de vie et de douleur, qui, ensuite, aboutit à une expression de la mort, dans une danse en vêtements noirs, d'une extrême densité, où par la gravité, la lenteur des figures, les allusions à la croix, le chorégraphe fait parler la sobriété, la tension intérieure. Sobriété aussi des costumes, associés au geste, à l'utilisation de l'espace.

à l'expression de mort succède, lumineuse, la dernière danse en vêtements blancs, lente aussi, mais plus imposante, plus affirmée.

De très bons danseurs dont le chorégraphe, dans cette danse où la lenteur et les vives reprises sont données par la maîtrise des corps et de la plastique.

Les éclairages jouent aussi un grand rôle dans cette "Mare rubato", de la douceur à la clarté et aux pénombres graves de la fin.

Mare rubato" : mer volée, mer disparue, laissant l'angoisse du temps à venir, la pensée de la vie au cours du temps, dans la durée et le drame intérieur et avec une sensation d'immensité.

Une belle réalisation de ce chorégraphe italien qui vit et travaille en France et a fait cette création en Résidence à Châteauvallon.

Louise Baron
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