Le public fut sans doute « un peu désarmé » jeudi soir au Petit Espace des Arts face à un duo de danseurs se mouvant d'une manière tout à fait inhabituelle. Sur une chorégraphie de Paco Dècina, se mettant lui-même en scène avec sa partenaire Valeria Apicella, les deux artistes se cherchent, se trouvent, s'ignorent, se saisissent, s'échappent.
La musique comme le mouvement font l'effet d'un souffle. Des corps à corps furtifs, une danseuse tantôt lascive, tantôt distante, drapée dans sa robe noire, jouant des voiles, ou plus dénudée. Les figures sont géométriques, les corps près du sol. Un travail au corps, de chaque partie du corps, le torse, les mains, les doigts.
Dans un carré de lumière, la danseuse apparaît en blanc pour une nouvelle étape avant de se changer en sorte de chrysalide toute en longueur et entièrement couverte. Au loin, le danseur se déplace à quatre pattes. Les cloches lointaines d'une église, la danseuse de nouveau en noir se contorsionne tandis que le danseur à pas mesurés transporte des robes amidonnées blanches, translucides.
A la recherche du silence, du mouvement retenu, Paco Dècina donne à voir une initiation à une nouvelle dimension de la danse, un monde intérieur, une respiration.
Soir du 19 janvier, silence dans la salle, au Minotaure. Le spectacle Chevaliers sans armure qui commence, dans des lumières d'un rouge profond, commande attention, concentration.
Les deux danseurs, Paco Dècina, le chorégraphe, et Valeria Apicella, interprète, entrent en scène et captivent immédiatement le public. Ils vont exprimer la liberté des corps par la danse. Pas forcément par la seule gestuelle, l'immobilité, comme le silence faisant partie intégrante du style Dècina. Ses chorégraphies sont souples, libres, les corps s'exprimant comme après s'être détachés des contraintes physiques.
Enlacements, entrelacements, appropriation du sol, liberté du corps. C'est la vie qui passe, celle des individus que nous sommes, qui est présentée ici, après abstraction des pesanteurs, des lignes droites, de la morale. La lecture que chacun peut faire d'un tel spectacle est libre elle aussi, en fonction de sa propre histoire. La musique, du duo Winter Family, lorsqu'elle est présente, orgue ou piano, s'accompagne de paroles poétiques qui approfondissent l'atmosphère de liberté charnelle et de beauté. Et cela dure plus d'une heure, cet univers qui respire, qui souffle, qui explore et qui s'offre. Des ombres qui cachent, de délicates lumières qui se posent sur une main ou une épaule, et le subtil existe.
Un moment de partage
Après le spectacle, Paco Dècina et Valeria Apicella ont pris le temps de partager un moment riche en enseignement pour le public curieux de savoir comment peuvent être construites des chorégraphies aussi personnelles. Ils se sont expliqué sur le cheminement intellectuel et le travail entrepris pour cette création très originale.
Ce spectacle était proposé dans le cadre du festival Les Eclectiques, organisé par la Halle aux grains, Scène nationale de Blois.
Est-il permis de retenir – aussi – la qualité technique comme suprême qualité chorégraphique ? A cette aune, la nouvelle pièce de Paco Dècina, Chevaliers sans armure, tutoie la perfection. De sa partenaire de longue date, Valeria Apicella, on sait qu'elle s'est formée à la technique Cunningham et au contact improvisation. Ces deux sources irradient leur long duo. Le geste s'y déploie avec une stricte exactitude disponible ; un doux flux constant distribue les coordinations selon leurs logiques les plus abouties, sur une riche diversité de plans, et ménage entre interprètes une poésie maîtrisée des transferts et des réceptions. L'effet est hypnotique et donne à percevoir l'impalpable de l'absence qui se révèle au contre-jour des présences. Il en émane un pouvoir de fascination qui aurait pu s'épargner l'insistance que trahissent ici l'alanguissement souligné d'une posture, là le recours excessif à une musique – au demeurant magnifique – qui recompose une fable spirituelle fantastique.
Si anachronique dans la production chorégraphique actuelle que c'est déjà un exploit ! Si opiniâtre dans sa quête d'un geste absolu, depuis 20 ans, qu'il fait figure de curiosité. Paco Dècina, Napolitain installé à Paris depuis 1984, possède un souffle lent, profond, qui ralentit le pouls pressé du temps pour l'infléchir vers la suspension de l'hypnose.
Présentée le lundi 15 mai au Théâtre de la Cité Internationale qui l'accueille en résidence, sa nouvelle pièce, Chevaliers sans armure, un duo conçu avec sa complice Valeria Apicella, déroule une chaîne gestuelle d'une beauté limpide. Dessinant avec leurs corps les lettres d'une langue puissante et harmonieuse, pressante aussi dans son flux, les deux danseurs font coulisser les étapes d'un cycle vital détaché de l'anecdote.
Couloir de lumière rouge brûlante, puis carré vert saturé nimbent les corps habillés (par Regina Martino) tantôt de noir, tantôt de blanc. La pénombre gagne les pourtours du plateau pour y accueillir des chrysalides humaines en tissu blanc. des orgues et des cloches (il faut oser utiliser ces instruments connotés) grondent, mêlés à une voix féminine atmosphérique (la musique est du duo Winter Family). Grave, solennel presque, ce pas de deux hanté par la réversibilité de la vie et de la mort accroche le spectateur avec une terrible douceur.
Mystique, Paco Dècina ? Sans doute, mais de façon charnelle, animale parfois. Chaque mouvement possède une évidence, tant de sens que de plastique. Danse de mutation, Chevaliers sans armure écarte les rideaux du mystère de soi en jouissant à découvert de l'instant spectaculaire. La mue de ces Chevaliers accentue leur vulnérabilité, celle qui fait la force de l'humain.
Faire de la danse non seulement un manifeste humaniste, mais aussi un training spirituel, relève de la gageure. Ce défi, le chorégraphe Paco Dècina le relève avec humilité. Sa nouvelle pièce, un duo intitulé Chevaliers sans armure, raffine encore davantage ce geste pacifique unique, dont la beauté se laisse contempler tout simplement.
Avec Chevaliers sans armure, Paco Dècina poursuit sa recherche sur l'essence du geste. Il tente de rendre visible les fluctuations intérieures imperceptibles qui modèlent les corps sans armure, sans carapace, l'écoute de leurs métamorphoses organiques, de leurs palpitations incontrôlées, de leurs sursauts imprévisibles. Il s'agit d'une danse non conquérante, non héroïque, du moins au sens ordinaire du terme. Car c'est un autre combat que ces corps se livrent. Ils n'affichent pas une puissance combative ou une volonté de terrasser un ennemi. Ils se débarrassent au contraire de toutes les protections factices qui entravent la maîtrise de leur propre fragilité. En menant un combat contre l'armure, ils acquièrent paradoxalement une force nouvelle. Ils se rendent donc volontairement vulnérables, rejoignant un état quasi-larvaire. Torsions embryonnaires contre parades chevaleresques. D'où l'invention d'une gestuelle inédite chez Paco Dècina, notamment dans l'impressionnante appropriation du sol par les corps et dans les enlacements-entrelacements des danseurs, d'une sensualité qui précède tout érotisme, s'apparentant davantage des étreintes gémellaires.
De même que dans Intervalle, précèdent duo du chorégraphe, Chevaliers sans armure est une pièce qui déploie une danse compacte. Mais la gestuelle est moins compulsive, le rythme plus lent. Justement parce que les corps luttent davantage avec le monde extérieur, comme écartelés, soumis à une attraction bipolaire: vers l'armure et vers corps amorphe.
Il y a ainsi trois moments distincts dans ce duo: d'abord les deux danseurs vêtus de costumes noirs évoluent horizontalement dans un couloir de lumière rouge, ils s'épousent avec évidence, bien qu'extraordinairement, et progressent par enveloppements puis dèplis ; ensuite, apparaissant dans des costumes blancs, ils entrent dans une phase plus aÉrienne, plus romantique, plus verticale, plus en proie à l'inquiétude et au doute; enfin, ils retrouvent la gravité, la pesanteur, se coulent dans un flux langoureux, moins syncopé qu'au début.
Durant cette dernière partie, Paco Décina dispose sur le plateau nu des robes en tulle blanc, amidonnées, tenant debout toutes seules, comme des chrysalides. Ces tissus immaculés vaporeux sont-ils l'armure? Ou, au contraire, un hommage chevaleresque et courtois au voilement délicat dont s'enrobent les fragiles corps féminins ? Voilement qui se matérialise soudain sur scène, mais qui a fait l'objet de la chorégraphie elle-même? Voile dans lequel le spectateur lui-même s'est enveloppé? Car Paco Dècina définit avec justesse, dans un beau texte qu'il a écrit pour le programme, le rapport du spectateur à la danse. En voici un extrait :
"Par cette qualité intensive qui crée à chaque instant un nouvel espace pour se déployer, le corps du danseur devient le véhicule d'une mise en forme, et l'œil du spectateur, le témoin pour que la danse, en fait, puisse se regarder elle-même… Mais alors, qui danse? Existe-t-il véritablement une séparation entre l'interprète, l'œuvre et le spectateur? C'est dans l'écoute de ce flux vital, sans cesse métamorphosé, que la danse nous apparaît."