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Neti-Neti

Articles

"Neti-Neti, Lettre au silence, Summa Iru de Paco Dècina"
Rosita Boisseau, Télérama n° 2706, 24 au 30 novembre 2001

Il y a le mystère (palpable) d'une danse vécue comme une expérience spirituelle et l'évidence d'un geste juste et beau, parfaitement accordé au corps qu'il l'interprète. Cette articulation rare de l'âme (puisqu'il faut bien l'appeler ainsi) et de la chair, le chorégraphe Paco Dècina, féru de médecine chinoise et de philosophies orientales, en offre la magie avec une simplicité déroutante : une sorte d'essence de la danse, concentré de vingt ans d'explorations aiguës du mouvement jusque dans ses ramifications les plus souterraines. Mais plus qu'un artiste d'excellence, Paco Dècina est surtout un être accompli, apaisé. Au-delà du spectacle, ce Napolitain parti pour devenir ingénieur avant de se révéler danseur - revendique un art libre, interface poreuse entre l'être et le monde. Ainsi Lettre au silence (1998), solo tournoyant, griffé d'angles aigus, et Neti-Neti (" Ni ceci, ni cela ", dans la tradition indienne), duo doux et noueux glissant au coeur de l'être mâle ou femelle, portent l'empreinte de cette démarche. La gestuelle en est souple et sculpturale, avec un somptueux travail des mains et des bras, des jambes nerveuses. Sur le plateau, les danseurs semblent chargés d'un secret : celui de la vie, de la matière et du désir jamais assouvi de transcender le destin humain.

Rosita Boisseau
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"Corps-à-corps philosophique"
Propos recueillis par Philippe de la Croix, Le Monde - Aden, Semaine du 7 au 13 novembre 2001

A la recherche d'un "espace blanc", tout imprégné de pensée orientale, le chorégraphe Paco Dècina présente Neti-Neti

Aden : Neti-Neti ("Ni ceci, ni cela "), votre nouvelle création est un duo qui emprunte son titre à la tradition indienne. Il se réfère, dites-vous, " à la négation de tout nom et de toute forme dont est fait le monde, dans le but de se tenir en direction de l'Un". Un peu difficile à suivre, non ?

Paco Dècina : On a toujours besoin de se rassurer par une compréhension éventuelle pour remplir un vide profond. Un duo est quelque chose qui ne tombe pas du ciel, c'est un parcours. Je ne suis pas intello, je suis intuitif. Un titre est important car, pour moi, c'est la première étape, la première organisation dans le temps et dans l'espace de tout travail qui s'ébauche. Quelque chose bouillonne en moi, avec beaucoup d'énergie. Avec le titre, je ne sais pas encore où je vais, alors j'avance à tâtons. J'écris des textes, c'est le début de la dramaturgie. J'écris comme les mots viennent ; après il me faut mettre cela en forme. Je choisis aussi quelques musiques sur des coups de coeur ; alors seulement commence le travail avec les interprètes. En tout cas, je reste persuadé que ce n'est pas moi qui fais les pièces. Comment ça vient, je ne le sais toujours pas... Je me suis également rendu compte que j'étais arrivé à un moment de mon travail où l'on me demandait de me justifier, d'éclairer, de donner des certitudes. Or, dans ma recherche, il n'y a pas de réponse.

On est très proche de la pensée orientale !

Oui, parce que la philosophie orientale s'intéresse plus au corps. J'essaie de créer une largeur et un espace blanc, inexploré par rapport à nos doutes. C'est un postulat qui n'est pas valable uniquement pour la danse, mais pour toute ma vie.

Qu'est-ce-que c'est que cet "espace blanc" ?

C'est le vide , un espace où tout est possible.

Qu'est-ce-que le corps, alors ?

Sûrement pas un simple ensemble de tendons, de muscles et d'organes. C'est une partie de la forme de notre organisation, de notre relation au monde. La pensée est un corps, les affects aussi. Il n'y a pas de différence entre physique et psychique.

Ce ne doit pas être facile de trouver des danseurs en phase avec de tels postulats !

Je travaille avec des gens, qui, comme moi, remettent leur vie en question et qui se rapprochent de cette famille de pensée. Je travaille sur la mémoire du corps, c'est-à-dire sur l'ensemble de l'organisation de la personne et pas seulement du corps, conscient et individuel. Dans ma rencontre avec l'interprète, je sens intuitivement si la matière corporelle peut entrer en résonance avec moi. Je choisis les danseurs comme une histoire d'amour.

Philippe de la Croix
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"Retours aux sources" Marie-Christine Vernay, Libération, 25 mai 2001

Après avoir proposé des corps dans tous leurs états, des scènes hors de la scène conventionnelle, des théâtralités diverses et des performances, le Théâtre de la Ville revient au mouvement porteur de sens. Avec un programme un peu lourd, trois pièces assorties d'entractes, les spectateurs retrouvent une danse qu'ils connaissent bien, celle, issue des années 80, qui privilégie le rapport à l'espace et au temps, le corps autonome proposant sa propre sémiotique. Avec Hervé Robbe et Paco Dècina, on revient à "ce qui se danse", en quittant une vision critique de la danse ou de la posture. Cela fait un curieux effet. Comme si, en si peu de temps - à peine dix ans -, on s'était habitué à des écritures qui remettent en cause leurs antécédents ou les mettent en perspective, comme d'ailleurs la danse des années 80 le faisait avec le ballet, la danse «moderne» et l'idée d'un art du divertissement. La figure du solo sert cette nouvelle concentration sur un corps autonome et signifiant, pris dans son mouvement. Créé en 1999, Polaroïd est un autoportrait du chorégraphe Hervé Robbe. Il y interroge son parcours de fils d'ouvrier directeur de centre chorégraphique national. Il écrit son histoire sur les murs d'une cité que le vidéaste Aldo Lee a filmés, ces murs d'une barre HLM de Lille qui contint son enfance. Profession de foi. Au pied du paysage originel projeté, il danse sa construction alors que la cité est vouée à l'implosion. Utilisant le sol en variant les appuis, il ne propose aucune narration, ouvrant l'espace par un mouvement ininterrompu dont la fluidité est à peine troublée par une hésitation en suspension. Au ras du déséquilibre, Hervé Robbe est rattrapé par sa danse profession de foi. Paco Dècina ne doute pas non plus de sa danse. Dans son solo Lettre au silence, il propose sa lecture des œuvres du plasticien italien Raffaele Biolchini, sous la forme de tablettes où l'artiste grave des signes abstraits. Le chorégraphe fait de même avec son corps, pour lequel il invente un alphabet secret tout en beauté calligraphique. Secrète féminité. étirement, immobilités, la danse est ici une histoire de motifs, broderie où le corps très viril convoque une secrète féminité venant des bras, des mains. Sans qu'il s'agisse d'une copie ou d'une transposition, on n'est pas loin des mudras indiens (gestes symboliques utilisés dans les danses indiennes), dans leur abstraction et non dans leur valeur symbolique. Les musiques suggèrent d'ailleurs fortement la présence de l'Inde et la dimension sacrée de ses danses. On le voit tout autant dans le duo qui suit Neti-Neti («ni ceci, ni cela»), où le ça trouve un équilibre entre féminin et masculin. Le mouvement lent et continu ne dit rien d'autre, que sa force de persuasion et de pacification. Que les corps mesurent l'espace qui les sépare mais ne les empêche pas de danser ensemble, ou qu'ils roulent l'un sur l'autre, l'un avec l'autre, ils font danse commune, unifiée. Odeur subtile. Les deux interprètes, Valeria Apicella et Paolo Rudelli, avec une intouchable sérénité, dans la lenteur de l'adage, répandent une odeur subtile, celle qui émane des êtres quand toutes les braises du désir se sont Éteintes, quand tout a été consumé et qu'il ne reste plus qu'un secret partagé. Ce seul duo aurait suffi à nourrir une soirée fort sérieuse.

Marie-Christine Vernay
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"Paco Dècina. L'intuition de l'essentiel"
Interview réalisée par Pascale Orellana, urbuz.com, jeudi 24 mai 2001

Le chorégraphe donne naissance à une poétique du mouvement où le flux gestuel se déploie ici puis redémarre là, dans une infinie vibration volatile.

Urbuz : La danse se manifeste dans une forme de neutralité, avant le stade d'expressivité, à quoi cela est dû ?

Paco Dècina : Tout cela correspond à la Danse. Il ne faut pas confondre danse et mouvement musculaire. C'est la sensation déclenchée qui est capitale et pour moi elle est travaillée dans l'oubli. En effet, le travail de création, la manière d'amener la rencontre avec le public est particulier et chaque chorégraphe possède un processus personnel de mise en place de cette relation afin d'amener l'interprète et le public dans un autre espace-temps. La danse est de cet ordre, complètement inexplicable, elle échappe à tout. Elle est un mouvement de vie. En réalité, il s'agit de voir et surtout de donner plus d'espace au regard. Il est vrai que souvent le spectateur (et j'en suis un aussi) cherche toujours à reconnaître un mouvement. Cela le soulage du renversement profond que les sensations liées à la danse provoquent en lui, car elles sont de l'ordre de ce qui noue, que ce soit en regardant ou en pratiquant la danse. Accepter de ne pas comprendre par où cela passe semble difficile, mais permet d'accéder à des sensations uniques. à trop vouloir comprendre, on finit par fermer la sensation à ce qui est déjà connu. C'est la même chose quand je travaille avec les interprètes. Plus je leur parle, plus je les oriente en désorganisant leur pratique, alors j'interviens le moins possible. Ils doivent donc lâcher quelque chose d'eux pour aller au-delà. Cela nécessite une confiance mutuelle totale.

Urbuz :Dans Neti-Neti, la présence des interprètes ne surpasse jamais la danse, les spectateurs eux-mêmes sont dans la même instance, serait-ce un travail basé sur une forme d'essence du mouvement ?

Paco Dècina : Je suis chorégraphe, je cherche à travailler sur des émotions qui émanent du plus profond des interprètes. Dans mon travail, je suis mon intuition, j'ouvre au maximum les possibilités autour d'un sujet et je tente de puiser au plus profond la vérité de chaque interprète. J'aime transmettre l'essence du mouvement plutôt que la forme. C'est une qualité universelle qui permet au corps interprète d'être en lien direct avec sa propre histoire. Je tente toujours d'accéder au mouvement par son essence et jamais par l'extérieur. Ainsi, tout est dans le même flux et progressivement le spectateur se retrouve aussi dans le même état...

Urbuz :Comment avez-vous travaillé le rapport à la musique présente sous différentes formes ?

Paco Dècina : Paco Dècina : Parfois la musique utilisée dans le spectacle est utilisée dès les répétitions, ainsi la danse naît à ce même moment, car elle est travaillée avec la musique du spectacle constamment. C'est le cas pour les chants tibétains. Parfois, la musique arrive après. Il y a aussi des moments dans les répétitions où j'ôte la musique, quand l'ensemble devient lourd et que la danse ne peut plus se développer. En réalité, ce n'est pas moi qui crée, ce sont mes interprètes, c'est la société à ce moment-là. Je ne suis qu'un catalyseur et même si la couleur du regard est la mienne, je ne sais pas de quel Moi ça vient.

Pascale Orellana
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Irena Filiberti, Programme de saison 2000/2001 du Théâtre de la Ville, Paris

S'il faut une certitude intérieure pour exister, il semble bien que Paco Dècina ait place la sienne dans la danse. Danseur de l'immobile, comme on a pu dire justement de lui, le chorégraphe réfléchit sa danse du côté du recueillement. Elle est un travail du passage qui, étape aprèsétape, demande à s'extraire de la rumeur du monde pour faire son nid dans le silence, s'abandonner à l'espace. Affinant sa gestuelle - faite de poses, de postures, de figures - qui revisitait avec autant d'aisance les mosaïques byzantines ou les peintres de la Renaissance italienne, Paco Décina s'est peu a peu dirigé vers l'abstraction. Les corps subtils qui intéressent le chorégraphe impriment désormaisà son travail des effets de vibrations, de transparence et composent avec une gestuelle qui tient de la calligraphie. Depuis la méditation poétique sur la mort que certains ont pu voir au Théâtre de la Ville dans Ciro Esposito fu Vincenzo, pièce créée en 1993, son travail a subi plus d'une transformation. Avec une danse pleine, charnelle, fluide, le chorégraphe atteint une simplicité qui tient de l'épure. C'est la première chose qui touche les sens dans Lettre au silence et Neti-Neti, un solo suivi d'un duo, dénudés de tout apparat, à l'écoute du seul mouvement. Dans le premier, Paco Dècina relit à sa façon les oeuvres d'un plasticien italien, Raffaele Biolchini, des lettres qui se présentent sous la forme de tablettes de terre cuite où I'artiste a gravé des signes abstraits. Debout dans un rai de lumière, le chorégraphe avance lentement. Comme s'il parlait a I'invisible, ses bras dessinent des arcs, son corps devient une courbe où les gestes s'étirent enroulant leurs motifs. Une suite de hiéroglyphes secrets en découle. Dans le texte muet de cette écriture composée de traces ou se mêlent mémoire et imaginaire, Paco Dècina entretient un mystérieux dialogue avec le monde sensible. Qualités que le chorégraphe reconduit dans son duo Neti-Neti dont le titre est emprunté a un dialecte de l'lnde. Le terme signifie "ni ceci ni cela" La sagesse qu'il contient, liée au détachement, est inscrit au cœur du processus de travail et oriente l'écriture de la pièce. Là, deux interprètes, Valeria Apicella et Paolo Rudelli, se livrent avec talent au périlleux exercice d'un mouvement lent et continu qui sans cesse se déplie, se délie, multipliant les courbes et les entrelacs. Précieux sans esthétisme, résolument libre dans la forme, ce chant des corps vers le silence se déroule sur fond noir nappé de lumière. A la recherche d'un espace neutre où se dénouent les tensions, les oppositions, Paco Dècina réalise une architecture des corps dont la qualité pacifie sacrement les cœurs.

Irena Filiberti
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"En solo comme en duo, Paco Dècina Émerveille" Jacques Morlaud, L'écho de la Haute-Vienne, mardi 21 novembre 2000

La limpidité et l'harmonie qui transcendent sa chorégraphie n'ont de cesse de charmer. Un merveilleux moment des Itinéraires Chorégraphiques la semaine dernière. Dans la mesure où un artiste est reconnu pour son talent et son travail d'excellente qualité, c'est avec intérêt que l'on aime le retrouver.
Programmé plusieurs fois à Limoges au sein de la Biennale Danse Émoi organisée par les Centres culturels de la ville, Paco Dècina a présenté mercredi dernier au Théâtre de l'Union-CDNL deux de ses récentes chorégraphies : un solo, "Lettre au silence", interprété par le chorégraphe et un duo, "Neti-Neti" (Ni ceci, ni cela) avec Valeria Apicella et Paolo Rudelli. Ces deux œuvres se caractérisent par une chorégraphie très pure, fort harmonieuse et Élaborée. Les interprètesévoluent sur un plateau nu et la lumière s'avère discrète : juste ce qu'il faut pour mettre en valeur les attitudes, les mouvements, les lignes.
L'écriture de Paco Dècina est à la fois limpide et sereine. Dans "Lettre au silence", Paco Décina s'est inspiré - comme il a coutume de le faire- de l'œuvre d'un plasticien, en l'occurrence le sculpteur italien Raffaele Biolchini. Le chorégraphe plonge le spectateur clans une atmosphère mystérieuse voire mystique. Paco Dècina danseur, Étonne par la maîtrise exceptionnelle dont il fait preuve.
Dans "Neti-Neti", les corps des deux interprétes se frôlent, se confondent ; ils sont liès en quasi-permanence.
Cette évolution à tous les sens du terme est absolument fascinante. Ici encore, ce travail exige des interprétes, une maîtrise parfaite atteinte grâce a une ènergie intérieure intense et soutenue.

Jacques Morlaud
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"Net-Neti, Le corps, ce lieu de mémoire"
Philippe Verrièle, L&A Théâtre n° 3, Octobre-Novembre 2000

"Je suis à une étape de ma recherche où j'ai besoin de laisser s'échapper toutes les paroles, les projets et les idées construites, pour inventer et projeter au corps un espace blanc. Un espace dédié à ce qui n'est ni affectif, ni psychologique, libre du désir et de la peur et à l'écoute du mouvement (...) La fluence de la matière, la liberté des articulations, la tactilité au-delà de la peau sont les thèmes de ce duo."

II faut savoir lire les chorégraphes avant même de laisser parler leurs pièces. Comme un préambule.. Pour sa dernière création Nèti Nèti (Ni ceci, ni cela) Paco Dècina livre un duo, baignant dans une atmosphère musicale très originale, portant à une rêverie sacrée. Lumières, sons, fluidité du mouvement contribuent à l'évocation des éléments aÉriens et liquides.

Nouvelle déclinaison du duo, les liens qui s'y tissent pourtant entre les deux danseurs échappentà toute caricature, révèlent une singulière manière d'être à deux. Renouvellement des contacts, de l'approche, de la distance entre les corps, de la quête de l'autre, de son renoncement.

Les deux interprètes Valeria Apicella et Paolo Rudelli donnent vie à une danse Étonnamment dépourvue d'effets spectaculaires, poussant jusqu'à l'ultime le dépouillement, pour une mise en avant du corps sculptural magnifié par la lumière. On peut soudain lire, à corps ouvert, sans se laisser emporter par une quelconque émotion perturbatrice. La sobriété n'a rien d'atone. Elle permet de se retrouver au coeur de l'essentiel, à la source de la danse, de l'être-là, à la magie du corps qui se meut dans cette Émouvante fragilité, et se laisser aller à cette mémoire du mouvement inscrite comme un patrimoine en chacun de nous.

Philippe Verrièle
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