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La douceur perméable de la rosée

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"Paco Dècina en création "
Sophie Lesort, dansercanalhistorique.com, 27 février 2015

Depuis toujours passionné par le lien entre l'homme et la nature, le chorégraphe Paco Dècina est parti s'immerger durant quatre mois sur les Îles Crozet, qui constituent l'un des cinq districts des Terres australes et antarctiques françaises." Je voulais savoir quels étaient les effets qu'une terre non contaminée pouvait provoquer sur notre organisme, et en quoi la douceur d'un tel lieu plutôt inhospitalier peut être considéré comme un reméde et une antithése de la violence imposée par notre société actuelle."

Seul artiste sur ce bout de terre occupé uniquement par une trentaine de militaires et scientifiques, Paco Dècina a été émerveillé par une faune composée de quatre espèces de manchots, d'albatros, de pétrels, de goélands dominicains et surtout de mammifères marins tels les otaries, éléphants de mer et orques qui l'ont largement inspiré pour sa pièce. Il y a aussi recueilli une multitude de sons entre pluie, vent violent, vagues, hélicoptére et crissements de pas sur le tapis végétal.
C'est donc empli d'une rare sérénité que le chorégraphe a élaboré" La douceur perméable de la rosée ", une pièce toute en immersion où le corps semble libéré des rigueurs de la pesanteur.

Alors qu'au fond du plateau, un mur fait de téles ondulées reflète des vidéos, trois danseurs athlétiques se déploient avec une souplesse et une lenteur qui fait songer à des plongeurs sous-marins, sauf qu'ils ne sont pas dotés de bouteilles emplies d'air. Ils nagent comme des otaries, jouent entre eux et expriment une intense liberté du corps à se mouvoir comme ils veulent. Par moment l'un ou l'autre passe sous le décor afin de prendre un peu d'air pour mieux replonger ensuite et rejoindre ses copains. Nous sommes dans un milieu aquatique où rien n'est violent ni agressif. Il y régne une certaine forme de paix et de respect.

Mais soudain l'homme devient présent et cette quiétude envoutante se transforme en drame. Il attrape violemment un animal marin, l'endort alors qu'il se débat, puis le transporte sans ménagement sur une table pour le tatouer d'une croix bleue et lui insérer une puce. Finie la liberté, la bête est marquée à jamais par l'homme.

On assiste aussi à une bagarre entre deux éléphants de mer, à des duos et trios magnifiques dont l'écriture chorégraphique est lâchée et trés bien étudiée. Plusieurs tréteaux dessinent différents lieux ou flore marine. Les danseurs s'en amusent, s'en servent pour se protàger ou pour délimiter leurs camps. La grande force du chorégraphe est qu'il laisse le spectateur déployer toute son imagination. Seuls les sons et les images projetées permettent d'établir la réalité du climat, c'est-à-dire trés pluvieux mais jamais glacial, ainsi que la présence de l'homme.

" La douceur perméable de la rosée " se termine sur terre avec une table dressée par des hommes déguisés l'un avec une perruque blonde, l'autre avec un nez rouge de clown. On pense à la difficulté pour ces militaires et scientifiques à vivre en autarcie avec eux-mémes pour seule distraction.

Gràce à une technique infaillible des interprétes qui maîtrisent leurs corps à la perfection, à une danse toute en souplesse et trés liée ainsi qu'au théme fort original, la dernière création de Paco Dècina est poignante, sensible et splendide. Elle délivre un message de paix, de calme, de bien-être. C'est un ensorcelant voyage au sein des terres australes.

Sophie Lesort
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"Paco Dècina : La douceur perméable de la rosée"
Thomas Hahn, dansercanalhistorique.com, 28 février 2015

Présentée en création mondiale aux Hivernales d'Avignon, La douceur perméable de la rosée de Paco Dècina qui s'inspire des Terres Australes Françaises, a été remarquée dans le cadre du festival avignonais.

Qui peut vivre quatre mois sans téléphone portable ou connexion internet ? Est-ce encore possible ? Les Îles Crozet, terre australe improbable, lancent ce défi-là et bien d'autres aux artistes qui postulent pour une résidence d'écriture dans les Terres australes et antarctiques franéaises (Taaf). lien vers l'appel à candidatures, à l'origine de l'aventure de Dècina.

Paco Dècina a été sélectionné en tant que chorégraphe pour relever le défi. En 2014, il est parti. Mieux, il est revenu, sain et sauf et surtout, riche d'une expèrience de l'extréme, expèrience dont il tire une pièce de danse absolument bouleversante, La douceur perméable de la rosée.

Mais de quelle douceur peut-il bien s'agir ? Les îles sub-antarctiques, également appelées à îles de la Désolation à ne sont-elles pas connues pour l'adversité de leur climat, impossible à concevoir dans un pays qui tient chaque année son salon de l'agriculture ? Face aux tempètes et au grand froid, méme la météo au temps des Hivernales, festival avignonais ayant accueilli Dècina pour la création mondiale, est d'une douceur indicible.

Douceur paradoxale

Tempètes et violences ne sont pas absentes de La douceur perméable de la rosée. Mais méme dans ces moments, les trois interprétes restent dans une indicible fluidité, comme mis au ralenti par un maître tibétain. Ils ne dansent pas le mouvement, ils sont le mouvement ! C'est rare, c'est magique. Sans passer par l'unisson, leur unité est totale. En donnant l'illusion d'être véritablement un ralenti de la vitesse originelle, ils incarnent un état d'harmonie et de paix qui est, nous le savons tous, une illusion totale par rapport à une nature brutale et imprévisible.

Que signifie alors la douceur paradoxale de ce trio ? Ce n'est pas tant le temps du climat et de la météo qui adoucit ses mours, mais Chronos ! La danse donne à voir cette régularité et l'absence méme d'une conscience du temps, ce qui crée l'infini, en méme temps que l'importance absolue de l'instant. Aussi, toute danse devient une allégorie de l'essence méme de la nature. On a souvent senti chez Dècina le dèsir d'aller vers cet état-là. Le séjour aux Îles Crozet lui a permis d'y accéder enfin. On sent comme une libération, et Paco confirme que c'est la liberté d'une telle résidence de recherche qui l'a le plus marqué: " C'était la première fois ".

Des territoires de l'imaginaire et du réve

" Ces Îles sont habités par des militaires, des scientifiques et des techniciens, avec des missions purement utilitaires. Nous voulions montrer qu'elles peuvent aussi être des territoires de réve ", explique Marc Nouschi, directeur de la Direction des Affaires Culturelles Océan Indien (DAC-OI). La création de Dècina va au bout de ce raisonnement, avec une réverie philosophique plutét que touristique. " J'avais prévu des vidéos tournées sur place, mais finalement le son ouvre l'imaginaire bien plus que l'image. " En effet, on entend beaucoup de sons récoltés et retravaillés pour une partition excitante, musique concréte et fantasmagorique en méme temps.

Mais La douceur perméable de la rosée a deux visages. Dècina y travaille aussi sur la vie concréte des scientifiques. Capture et marquage d'oiseaux, moments d'oisiveté, repas partagé, départ en hélicoptére (moment magistral et spectaculaire dans sa simplicité). Mais malgré ce basculement d'une danse allégorique vers le documentaire, jamais cette sensation aérienne, cette rosée de douceur ne quittent le plateau. Quand la table est mise, pour un repas à huit, nous pouvons atterrir et rejoindre la ville.

Le plus étonnant est de savoir que seul le chorégraphe a vécu l'aventure sur place et que la transmission des impressions reçues s'est faite sans paroles, sans discours, uniquement par le corps en mouvement. Pas exclu que l'expèrience continuera à cheminer à travers son ouvre. " Je suis seulement en train de comprendre, petit à petit, ce qui s'est vraiment passé la-bas. "

Par ailleurs, la DAC-OI ouvrira bientét son appel à candidatures pour la prochaine résidence, prévue pour 2016. Si on songe à inviter un compositeur et un romancier, les artistes de toutes disciplines peuvent postuler. Le but est de créer une sorte de Villa Médicis à cet endroit improbable. La France sait encore s'inventer des réves!

Thomas Hahn
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"Avec Paco Dècina, danser au fin fond du monde"
Marina Da Silva, L'Humanité, Lundi 2 mars 2015

LA DOUCEUR PERMÉABLE DE LA ROSÉE, DE PACO DÈCINA, UNE DANSE DE MÉDITATION.

Immergé durant quatre mois sur les Îles Crozet, le chorégraphe italien en revient avec un spectacle qui interroge la présence humaine dans l'infini de la nature.

Il ne faut pas se fier à l'intitulé bucolique de la chorégraphie que signe Paco Dècina. La Douceur perméable de la rosée n'est pas un long monde tranquille mais l'évocation d'un espace où il faut lutter pour survivre, à la fois apaisant et oppressant. Nourri à une danse de méditation et d'introspection qui relie le corps aux souffles de la nature, au ciel et à la terre, le chorégraphe napolitain est familier de ces yins et de ces yangs, clés philosophiques des anciens textes chinois.

Lauréat de l'Atelier des ailleurs 2, à l'initiative du fonds régional d'art contemporain de La Réunion, il va atterrir sur l'archipel Crozet, réserve naturelle volcanique de l'Antarctique qui n'est accessible que par hélicoptére, pour un séjour d'immersion de quatre mois. Coupé du monde, dans la posture de l'observateur, il va osciller entre l'immensité de ces terres rudes et l'étroitesse des codes et du cadre de vie de l'équipe scientifique qui l'accueille. Les hommes au travail ont peu de liberté de regard. Le chorégraphe use de la sienne pour tout saisir de ce monde brut et sauvage, capture images et sons. Il les confronte, les unit, les fait dissoner. Il explore cette expèrience de la mise à distance des bruits du monde et de sa violence. Il redécouvre le silence, la vibration de la lumière et celle du vent.

Comment ensuite restituer et faire partager cette traversée initiatique ? Vincent Delétang, Jérémy Kouyoumdjian et Sylvère Lamotte endossent tous les réles de cette composition intime. Ils sont tour à tour, seuls ou ensemble, les multiples habitants de cette île mystérieuse. Ouvriers, chefs de chantier, militaires. ils manipulent les matières, entrent en relation les uns avec les autres, ou s'ignorent. Ils prennent des mesures, d'objets, mais aussi de leurs propres corps, téte, dos, jambes. construisent des images décalées, nous reviennent avec un nez de clown, dressent une table pour le repas. Leurs longs corps fluides semblent à la fois ancrés au sol et flotter en apesanteur. Ils évoluent, entre danse et portees acrobatiques, sur une ligne de force et de gréce. Sur un plateau nu avec seulement quelques chevalets qui sont autant de vaisseaux fantémes qu'ils empruntent pour se perdre et nous perdre, ils occupent entièrement notre espace mental. En fond de scène un échafaudage de téle ondulée reçoit les images vidéo kaléidoscopiques magnifiquement élaborées par le plasticien Serge Meyer. Elles dialoguent avec le diapason subtil des sons de Fred Malle. Des chants napolitains percent le brouhaha des marteaux piqueurs, trouent le silence qui était devenu une respiration intérieure.Une expèrience hors norme et mystique que Paco Dècina a su retransmettre comme une onde de choc à toute son équipe, et que nous, spectateurs, recevons cinq sur cinq.

Marina Da Silva
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Paco Dècina, La douceur perméable de la rosée"
Nicole Bourbon, Reg'Arts, samedi 7 mars 2015

Le geste est lent, suspendu, geste de peintre, posant sur la toile la forme, le mouvement. Peintre du mouvement, Paco Dècina dispose les corps comme des éléments visuels : il ne raconte pas une histoire, son histoire ce sont les élévations, les fluidités, les traits de lumière qui ouvrent l'espace, qui font littéralement danser l'espace. Quelque chose travaille à l'intérieur du regard du spectateur, ça va creuser loin, profondément, lentement. Chaque mouvement est lié à un autre, un bras à un autre, un pied prend appui sur une épaule, une main sur une omoplate, au point qu'on en oublie les corps et qu'on n'en voit que la lumière. La danse proposée par Paco Dècina est picturale et onirique. Elle nous transporte en deça de nos paupières, utilisant les techniques de vidéo qui semblent déformer les images quand elles ne font que les révèler.

De sa résidence de quatre mois sur la lointaine île de Crozet dans l'Antarctique, le chorégraphe Paco Dècina a rapporté des échantillonnages que Fred Malle a réorchestrés, et surtout un regard sur le monde qu'il n'a de cesse de nous faire partager.

Cela donne un spectacle éblouissant qui donne à penser et à imaginer.

En fond de scène, des panneaux de téle ondulée suspendus sur lesquels sont projetées les images créées par le plasticien Serge Meyer. Sur le plateau quatre tréteaux et trois hommes. Vincent Delétang, Jérémy Kouyoumdjian et Sylvère Lamotte. Trois danseurs exceptionnels.

Et nous voilà embarqués pour une drôle d'aventure, sur un continent sauvage où vibrent les sons, où les chairs souffrent et exultent comme dirait Brel.

Le bruit des vagues, des cris d'oiseaux, des chours, la pluie. Des bras qui se tendent, des jambes qui s'étirent, les corps s'arc-boutent, sautent, glissent, se superposent, s'emmélent, jouent avec les tréteaux jusqu'à former de curieuses formes, des êtres étranges, des monstres tentaculaires.

Ce sont des hommes oiseaux, des acrobates, des êtres surhumains.

Une expèrience qui nous méne hors du temps, hors du monde et qui nous laisse subjugués, pantois, envoùtés.

Un show salué par une immense ovation amplement méritée.

Nicole Bourbon
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