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Il Banchetto di sabbia

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"Nostalgie du temps qui s'écoule" Silvia Poletti, Danza e Danza, mai 1994

FLORENCE – Un nouvel auteur italien à l'affiche prestigieuse d'une institution lyrique italienne (en l'occurrence le Mai Musical Florentin)... après Paris. Les hasards de notre danse conduisent aussi à ce genre d'étranges parcours. Le fait est que si Paco Decina opère avec succès depuis maintenant plus de huit ans en France (où il bénéficie de subventions ministérielles constantes et où il produit dans de prestigieux théâtres de danse contemporaine, comme le Théâtre de la Ville), ce n'est qu'aujourd'hui qu'il parvient à créer pour un théâtre italien et pour sa propre compagnie de ballet.
Saisissons donc l'occasion de cette commande - « Le Banquet de Sable »- pour connaître de près un auteur singulier, dont la poésie et la manière, délicieusement méditerranéennes, semblent avoir ouvert une brèche dans le difficile « establishment » du ballet français. « Les Français sont terriblement rationnels, raconte Paco. Dans leurs travaux, les problématiques sont presque mises en exergue, conceptualisées. Alors que mon monde est au contraire quelque chose d'instinctif, lié à une capacité de vision, aux idées qui deviennent des images que je sédimente en moi et que je mets en scène comme pour une « écriture automatique », en veillant à ce que ce soit celles-ci qui suscitent émotions et sensations personnelles dans le public. Et c'est peut-être cela qui les fascine de manière particulière ».

Depuis « Circumvesuviana » à « Ombres en rouge antique », ou jusqu'au très récent « Ciro Esposito fut Vicenzo », il semble évident qu'un Élément constant de ta poétique soit la « napolitanité », une napolitanité qui est bien entendu un état du coeur, une façon de conçevoir la vie...

« Beaucoup de choses font partie de ma culture et je les redécouvre inconsciemment dans mes travaux. Beaucoup de critiques par exemple qualifient mes chorégraphies de « picturales », citant Pontorno, Michelange, le baroque napolitain. En plaisantant moi-même, je m'amuse à définir mon style comme « baroque nippon » ou « expressionisme de la renaissance ». Ces « références » sont cependant totalement inconscientes : la fréquentation de l'art antique est quelque chose qui m'accompagne depuis l'enfance. Naples est une forge permanente d'images qui pénètrent l'imagination : ensuite ma famille, qui s'occupe d'antiquités et mes études en dessin ont fait le reste. Mais le but de mon travail est différent de l'aspect purement visuel. Il y a une nécessité à creuser dans la « mémoire profonde » de l'homme, avec un sens de mélancolie inquiète, une crainte sur l'incertitude de l'existence, avec ce sens de fatalisme oriental qui, peut-être en effet, appartient à la « napolitanité »... »

Ta recherche chorégraphique repose donc surtout sur l'élément Émotif...

Absolument. Tu vois, pour moi le théâtre a une signification très spéciale. Je suis opposé à l'art comme divertissement, comme spectacle-distraction. Par contre, je considère que le théâtre doit avoir sa « ritualité », c'est-à-dire qu'il doit permettre au spectateur de se retrouver, de laisser finalement réémerger ces émotions, ces instincts profonds que la vie d'aujourd'hui, terriblement scandée par des rythmes, des fausses valeurs, des urgences externes, nous fait totalement perdre. La dimension de l'espace théâtrale, le silence qui entoure l'évènement en scène, conduisent déjà le spectateur à un dialogue intérieur avec lui-même. Le spectacle auquel il assiste doit ensuite provoquer en lui de nouveaux états d'âme ».

Et donc, en tant que chorégraphe, ton travail n'accorde pas une attention particulière à la « technique »...

« Disons que cela ne m'intéresse pas particulièrement en effet d'avoir en scène des « cadavres », des danseurs qui exÉcutent sèchement une partition, écrite par d'autres. J'écris beaucoup sur les danseurs, j'ai besoin de partager avec eux une philosophie de vie. C'est pour cela que le parcours qui se déroule durant la création est pour moi absolument plus intéressant que le « travail accompli ». Aujourd'hui, pour la première fois, j'ai à travailler avec des danseurs classiques – et je suis au début de cette expérience – je procède en instituant une espèce de dialogue interpersonnel qui m'aide à comprendre que, à la fin, cela me suivra dans mon parcours. Et je dois dire que je trouve cela très stimulant ».

Arrêtons-nous un instant sur le processus créatif. Comment naît, par exemple, « Banquet de sable » ?

« Je suis très troublé par cette vie qui met en exergue ses aspects les plus âpres. Et lentement en moi se forme un noeud Émotif qui m'opprime viscéralement, qui m'oblige à des visions qui deviennent ensuite le point de départ de la mise en scène. Il en naît une sorte de dramaturgie personnelle que j'essaie ensuite de rendre universelle, lisible pour tous les spectateurs. Qu'est-ce que c'est le « Banquet de sable » ? C'est tout. C'est le temps qui s'écoule, c'est la nostalgie d'un jardin perdu, un cri d'amour Étouffé qui s'insinue pourtant en nous avec une nouvelle force insolente. C'est l'ensemble de l'humanité qui partage la perte des illusions. Ces illusions auxquelles j'essaie de revenir ».

Contrairement au programme initial, qui annonçait une partition d'Alban Berg, tu as opté pour des extraits d'Arvo Part. Pourquoi ?

« Je n'aime pas être dépendant de la dramaturgie de la musique. Une partition 'imposée' impose, pardon pour l'expression, une inévitable version théâtrale. Alors que mes nécessités expressives placent au contraire au premier plan ma manière de raconter. C'est pourquoi j'ai choisi Part, qui m'offre une dimension plus... métaphysique, irréelle ».

Après cet important rendez-vous florentin (« Banquet de sable » fait partie du triptyque comprenant également le tudorien « Pillar of Fire », ainsi que la première en Italie du « Sacre du printemps » de Paul Taylor, sur la scène communale, du 15 au 1er juin, ndlr.), tu reviendras à Paris. As-tu déjà de nouveaux projets ?

« Le Théâtre de la Ville m'a de nouveau invité avec une production de 95, intitulée 'Mer volée'. Je continuerai par ailleurs à enseigner : l'autre aspect important de mon expérience d'auteur, grâce au contact constant et stimulant avec les sensibilités les plus diverses ».

Silvia Poletti
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